Thèse soutenue

Trajectoires migratoires et sociales des manucures chinoises en Île-de-France

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Auteur / Autrice : Yijing Jiang
Direction : Anne-Christine Trémon
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Anthropologie sociale et ethnologie
Date : Soutenance le 13/12/2024
Etablissement(s) : Paris, EHESS
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales
Jury : Président / Présidente : Gilles Guiheux
Examinateurs / Examinatrices : Gilles Guiheux, Sébastien Chauvin, Adelina Miranda, Juan Du, François Héran, Beatrice Zani
Rapporteurs / Rapporteuses : Sébastien Chauvin, Adelina Miranda

Résumé

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La migration chinoise de travail en France depuis la fin des années 1990 est marquée par un processus de féminisation et de prolétarisation. Cette thèse étudie ce phénomène migratoire dans la manucure, et retrace l’expansion d’une niche économique, ethnique et genrée dans les années 2010 en région parisienne. De deux à trois personnes sur le marché du soin des ongles, ces femmes y sont passées à environ 1 500 travailleuses 15 ans plus tard. Leur présence s’est étendue à d’autres quartiers, régions, voire pays européens.Pourquoi ces femmes, se sont-elles tournées massivement vers cette activité professionnelle aux conditions de travail précaires ? Pourquoi ces travailleuses souvent sans-papiers se sont-elles coupées de la sécurité des réseaux traditionnels des enclaves chinoises parisiennes, qui leur permettent de vivre et de travailler, même sans parler français ?Notre enquête statistique et ethnographique a été menée entre 2014 et 2020 auprès de centaines de manucures seules et primo-arrivantes. Outre l’examen du contexte macro-structurel expliquant la féminisation de l’émigration chinoise, cette thèse privilégie une approche par études de cas. L’imaginaire sur la mobilité de travail transnationale ainsi que sur la France a été questionné pour reconstituer les projets migratoires de 89 manucures en France. L’enquête a établi trois profils-types, les « anciennes ouvrières délaissées », les « travailleuses précaires mobiles », et les « migrantes professionnelles », associés à trois vagues de migration.La thèse montre le caractère ambivalent de « l’enclave ethnique », qui joue le rôle de « sas », mais dans laquelle ces femmes se retrouvent soumises à un endettement moral et financier, ainsi qu’à un contrôle social. Trouvant leurs premiers emplois et logements grâce aux réseaux régionaux chinois en France (laoxiang 老乡), ces femmes parviennent grâce à la manucure à s’en extraire, mais restent sans-papiers. Elles ont construit un réseau nouveau de femmes issues de toute la Chine qui travaillent pour des patrons non-chinois. Elles se forment entre elles, de façon horizontale, avec le shituzhi, un compagnonnage entre « sœurs » (jiemei 姐妹) qui assure une place dans un salon de manucure et une maîtrise des dernières techniques à la mode. Le logement de ces femmes constitue un déclassement mais assure une liberté vis-à-vis des règles sociales (guanxi 关系), et leur vie frugale mais bien organisée leur permet, hors des jugements traditionnels, de préparer leur retour en Chine. Néanmoins, ces femmes en situation irrégulière y subissent une exploitation comme main-d’œuvre bon marché. En 2014, une grève médiatisée soutenue par des syndicats français suivie d’un procès et d’une propagation des revendications à plusieurs boutiques de manucure nous permet de décrire l’agentivité de ces travailleuses précaires. Dans un salon à Paris un retard de paiement et une rumeur de fermeture a permis le rapprochement des manucures avec des coiffeuses sans-papiers originaires d’Afrique et une lutte collective devenue un modèle pour des grèves similaires dans d’autres salons. Son issue, victorieuse, a permis de condamner les gérants pour traite d’êtres humains en 2018, des régularisations, des améliorations des conditions de travail et le versement des salaires. Toutefois, certaines, déjà uberisées et moins expérimentées dans la lutte syndicale, a peu gagné. La modernisation de la niche ethnique, de l’activité et de son image sur internet, et l’extension des services, autorisent l’espoir d’une normalisation des conditions de travail, d’une reconnaissance des compétences, et la poursuite de l’activité au retour en Chine, où le travail du care est en plein essor. Cette thèse explique les mobilités spatiales et sociales des travailleuses et met en évidence le coût humain de l’illégalité et les ressources que construisent les femmes migrantes précarisées.