Poésie et technique conjuratoire : Energétique du poème chez Benjamin Fondane et Henri Meschonnic
Auteur / Autrice : | Sylvain Saura |
Direction : | Patrick Quillier |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Littérature générale et comparée |
Date : | Soutenance le 17/12/2024 |
Etablissement(s) : | Université Côte d'Azur |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Sociétés, humanités, arts et lettres (Nice ; 2016-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Centre transdisciplinaire d’épistémologie de la littérature et des arts vivants (Nice ; 2012-....) |
Jury : | Président / Présidente : Sylvie Ballestra-Puech |
Examinateurs / Examinatrices : Marko Pajević | |
Rapporteurs / Rapporteuses : Éric Benoit, Alexander Dickow |
Résumé
Le point de départ de cette étude se situe dans le présupposé anthropologique selon lequel la création d'artefacts, qu'il s'agisse d'objets techniques, de magie, de science, de médecine, d'art, ou de toute autre forme d'ouvrage humain, sert au maintien et à la continuation de la vie contre ce qui peut potentiellement lui nuire. Ce présupposé provient à la fois des travaux anthropologiques sur la magie et de la réflexion philosophique autour de la notion de technique, considérée comme ce qui lutte contre les déperditions de force à l'œuvre au cœur de la vie. De leur point de vue, les pratiques culturelles dont se dote une société donnée sont ce qui garantit son degré de présence, ce qui tente de sécuriser un « être là », de conjurer une forme de mort, dans une lutte constante pour son affirmation sur l'arrière-plan d'entropie et de perte d'énergie qui guette la marche du monde comme les productions culturelles elles-mêmes. Ce travail de thèse interroge alors le rôle de la poésie, en tant que pratique culturelle, dans la perspective de ce drame existentiel pour tenter de l'approcher comme une « technique conjuratoire », une pratique du sens qui agit sur d'autres formes d'élaboration du sens, les modifie, en libère la charge vitale, là où le sens s'était justement figé en connaissance désincarnée, voire mortifère. Cet accroissement de valeur existentielle par le biais du poème prend la forme d'un geste polémique et salvateur particulièrement repérable dans les œuvres de Benjamin Fondane et d'Henri Meschonnic. Le poème se conçoit chez eux comme une « technique obscure », une « technique de sauvetage du je », soit une lutte engagée contre les formes fossilisées de la pensée, du savoir et des productions esthétiques elles-mêmes, lesquelles sont, de leurs points de vue, à l'origine des catastrophes civilisationnelles du XXème siècle. Comment la parole poétique demeure-t-elle créatrice de valeurs vitales ? La réponse apportée par ces deux poètes se situe dans la mise en présence, au travers de la technique du poème, d'un indéterminé du langage et des idées, d'« une pensée qui cherche quelque chose qu'elle ne puisse penser », de ce qui « se trouve sans nom jusqu'à présent », sans lieu et dont la trace persiste dans la teneur spectrale de la parole poétique. Le poème se ferait donc technique conjuratoire par l'invocation et la production de signes fascinants qui s'articulent autour du passage d'un inconnu, d'un in-conceptualisable dans le langage. Cette conjuration met en même temps à distance les formes de langage pouvant potentiellement paralyser les formes de vie et les transformer en fossiles ou en fantômes. La méthodologie adoptée dans cette étude s'envisage comme une énergétique, non comme une systématique. Il s'agit de rendre compte de ces moments particuliers du poème où la parole capte dans ses rets l'intuition vitale qui échappe aux pièges de la fixation en essences et en concepts. À la croisée de l'anthropologie culturelle, de la poésie et de la philosophie, apparaissent les jeux de force du poème, que les écrits de Fondane et de Meschonnic mettent en lumière : la « mythologie » de la parole poétique, soit les lieux où la parole se trouve historiquement « prise », conditionnée, voire limitée et sa « rhétorique », soit les moments où la parole « prend » et libère l'énergie qui se trouvait jusque-là inexprimée ou enfermée dans les cadres culturels qui leurs sont contemporains. La tâche du poète comme celle du penseur serait donc de « rompre l'enchantement » de ces cadres culturels et de rendre possible, devant toutes les forces de pensée qui risqueraient de la rendre inaudible, l'expression d'un « mieux vivre ».