Thèse soutenue

La disponibilité en phosphore des sols pourrait-elle limiter la production de l’agriculture biologique dans un contexte de forte expansion ?

FR  |  
EN
Auteur / Autrice : Joséphine Demay
Direction : Thomas NesmeSylvain Pellerin
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sciences agronomiques et forestières
Date : Soutenance le 09/04/2024
Etablissement(s) : Bordeaux
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sciences et Environnements (Talence, Gironde ; 1999-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Interactions sol plante atmosphère (INRA Bordeaux-Aquitaine)
Jury : Président / Présidente : Astrid Oberson Dräyer
Examinateurs / Examinatrices : Adrian Müller, Julia Le Noë, Souhil Harchaoui, Gregory Vericel
Rapporteur / Rapporteuse : Astrid Oberson Dräyer, Philippe Ciais

Résumé

FR  |  
EN

Face aux crises environnementales et climatiques actuelles, les systèmes de production alimentaire doivent être transformés de toute urgence. Parmi les alternatives possibles, l'agriculture biologique est souvent mise en avant. Cependant, la question de savoir si l'expansion à grande échelle de l'agriculture biologique serait limitée par la disponibilité en nutriments des sols reste encore largement débattue. Jusqu'à présent, des études ont montré qu'à condition de réorganiser en profondeur les systèmes alimentaires, la conversion de 60 % des terres arables à l'agriculture biologique pourrait répondre à la demande alimentaire mondiale. Ces réorganisations incluent une réduction des densités d’animaux et du gaspillage alimentaire, la modification des régimes alimentaires et la relocalisation des élevages et des cultures sur les territoires. Au-delà de ce seuil de 60%, l'azote (N) entrainerait une limitation trop important de la production alimentaire mondiale. Toutefois, ces études n'ont pas examiné si la disponibilité en phosphore (P) des sols pourrait limiter la production de l’agriculture biologique à long terme. Cette question se pose dans la mesure où les engrais minéraux phosphatés, qui contribuent actuellement à plus de la moitié des apports mondiaux de P sur les sols agricoles, sont interdits dans le cadre de l'agriculture biologique. Répondre au manque de connaissances sur ce sujet est primordial, non seulement pour évaluer la capacité de l’agriculture biologique à se développer globalement, mais aussi dans le contexte de l'inévitable épuisement des réserves de roches phosphatées. Dans cette thèse, nous avons tout d'abord quantifié la dépendance de la fertilité actuelle en P des sols agricoles vis-à-vis de l'utilisation passée et présente d'engrais minéraux phosphatés. Nous avons ensuite analysé dans quelle mesure la production de l’agriculture biologique pourrait être affectée par un déficit en P des sols dans un monde 100% biologique. Dans l'ensemble, nous montrons que la fertilité actuelle en P des sols agricoles dépend fortement de l'utilisation cumulée d'engrais minéraux phosphatés sur la période 1950-2017, la moitié du P disponible des sols agricoles mondiaux étant d'origine anthropique. Cette tendance globale cache de fortes disparités entre les pays, reflétant des historiques d’utilisation d'engrais minéraux phosphatés contrastés. La forte dépendance à l'égard des engrais minéraux phosphatés est à la fois une opportunité et un obstacle au développement de l'agriculture biologique. D'une part, elle se traduit souvent par d'importants stocks de P hérités dans les sols, ce qui facilite la transition vers l'agriculture biologique. Cependant, cette dépendance remet en question la durabilité à long terme des systèmes agricoles sans aucun apport de P minéral. Nos simulations d'un monde 100% biologique ont révélé que, si la production agricole serait fortement limitée par l'azote à court terme, un déficit en P des sols agricoles sur le long terme affecterait aussi grandement la production alimentaire, en particulier dans les régions où le niveau actuel de fertilité en P des sols est faible, où les niveaux de production sont élevés et où la part de légumineuses dans les rotations est importante. Après 100 ans de production en agriculture biologique, la production alimentaire mondiale serait réduite de 41 %, les déficits en P des sols des terres arables et des prairies permanentes contribuant respectivement à 39 % et 18 % de cette perte. Dans l'ensemble, notre travail apporte de nouvelles connaissances sur les limitations potentielles de la production de l’agriculture biologique par la disponibilité en P des sols agricoles, soulignant les risques à long terme pour la sécurité alimentaire dans un monde 100 % biologique. Enfin, nous discutons des leviers potentiels qui permettraient de limiter la perte de P des sols agricoles, dont notamment le bouclage du cycle du P.