La réparation des dommages de guerre : la reconnaissance d'une responsabilité paradoxale (de 1914 aux années 1930)
Auteur / Autrice : | Guillaume Quernet |
Direction : | François Saint-Bonnet |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Histoire du droit |
Date : | Soutenance le 12/12/2024 |
Etablissement(s) : | Université Paris-Panthéon-Assas |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale histoire du droit, philosophie du droit et sociologie du droit (Paris ; 1992-....) |
Jury : | Examinateurs / Examinatrices : Michel Borgetto, Philippe Cocatre-Zilgien, Sébastien Le Gal, Xavier Perrot |
Rapporteurs / Rapporteuses : Anne Peroz, Guillaume Richard |
Mots clés
Mots clés contrôlés
Résumé
Après la Grande Guerre, la loi du 17 avril 1919, aussi nommée ''Charte des sinistrés'', consacra le principe d’une indemnisation systématique des dommages subis par les populations civiles sur leurs biens. La guerre totale avait aboli les principes élémentaires de ce que Carl Schmitt appelle le jus publicum europaeum, et qui assuraient jusqu’alors la neutralité des populations civiles dans le déroulement des combats. Elle rendit les règles spéciales de droit interne qui encadraient les atteintes aux biens des personnes (réquisitions, servitudes militaires, etc.) inefficaces à assurer la sécurité juridique des particuliers. Dès lors, le principe d’irresponsabilité, qui perdure de nos jours, devenait par l’ampleur des dommages collatéraux, intenables pour assurer l’ordre social d’après-guerre. Le régime de responsabilité sans faute consacré par le législateur constitua ainsi une innovation, qui assura pour tous les dommages ayant un lien certain et direct avec un fait de guerre une indemnisation qui devait servir à la reconstruction des régions dévastées. Tout en assurant la liberté théorique du sinistré dans l’usage de cette réparation dite intégrale, la loi astreignit le sinistré à employer strictement son indemnité à la réédification des biens endommagés. Par ce mécanisme, dit du « remploi », l’État souhaitait contrebalancer un régime onéreux pour les finances publiques. La technique à l’œuvre dans l’indemnisation des dommages atteste que la responsabilité publique relevait des mêmes mécanismes que celle de droit privé. L’expérimentation de la responsabilité sans faute ici consacrée mobilisa aussi les débats doctrinaux de l’époque. Les problématiques de la reconstruction révèlent ainsi les tiraillements entre droit individualiste et droit social, entre principe de solidarité et principe d’égalité devant les charges publiques. Cette étude permet donc d'apprécier la période de l'Entre-deux-guerres en tant que charnière pour l'histoire du droit public français. La consécration d’un mécanisme de responsabilité sans faute met ainsi au jour deux logiques a priori contradictoires. La Charte des sinistrés écartait l'arbitraire autrefois accordé à l'administration dans les circonstances exceptionnelles et offrait aux sinistrés la certitude d’une indemnisation équitable. Cependant, l’évacuation de la faute dans la responsabilité ainsi consacrée assurait à l’État que quiconque ne puisse juger les choix politiques et stratégiques faits durant les quatre années de guerre et qui avaient conduit l’Europe dans les abîmes de la guerre totale. Cette enquête conduira donc à apprécier les enjeux politiques et juridiques d’une responsabilité paradoxale.