Thèse soutenue

Citoyennes-citoyens en situation coloniale : l’engagement politique en Guyane française : contrainte coloniale et idéal républicain, 1848-1946

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Auteur / Autrice : Juliana Rimane
Direction : Justin DanielNassira Hedjerassi
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Science politique
Date : Soutenance le 05/03/2024
Etablissement(s) : Antilles
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Dynamique des environnements dans l'espace Caraïbes-Amériques (Pointe-à-Pitre ; 2022-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Laboratoire caribéen de sciences sociales
Jury : Examinateurs / Examinatrices : Nassira Hedjerassi, Abdelhak Qribi, Stéphanie Guyon, Isabelle Dubost, Fred Réno
Rapporteurs / Rapporteuses : Abdelhak Qribi, Stéphanie Guyon

Résumé

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Si la participation à la vie de la cité est corrélée au sexe, elle l’est aussi à la classe, et plus explicitement à la race, en situation coloniale. Ainsi jusqu'à l'obtention du droit de vote, les femmes dans l’espace public sont invisibilisées et marginalisées. Pour autant, si les hommes de la colonie deviennent citoyens votants, l’exercice de leur citoyenneté semble subir des restrictions qui s’apparentent selon eux à de la discrimination. Le droit de vote et l’engagement politique ne permettent pas à la population de se vivre comme partie intégrante de la France, le fossé se creusant entre leurs aspirations et leur vécu. En dénonçant jusqu’à l’extrême les manquements et les humiliations de la gestion coloniale, la population de la colonie montre qu’elle ne se satisfait pas des échelles de valeurs où la classe, la race et le genre font offices de marqueurs.Si l’acte d’abolition ouvre la porte à la réalisation de la démocratie, force est de constater que l’égalité ne peut se concrétiser en raison du statut colonial qui questionne d’autant la démocratie que les besoins des populations ne sont pas pris en considération. L’appropriation des leviers institutionnels républicains par les nouveaux citoyens à peine sortis de l’esclavage et des anciens libres de couleur est vécue comme un bienfait même si les inégalités deviennent d’autant visibles qu’elles se dévoilent dans un système déclaré comme égalitaire. L’école républicaine peine en effet à effacer les divisions socio-raciales héritées de la société esclavagiste. Les dynamiques raciales et sociales restent visibles dans le discours et les interactions quotidiennes où la couleur de la peau et l’éducation restent des marqueurs significatifs d'identité et de statut social.En instaurant des « doutes » sur la capacité des habitants à intégrer pleinement la nation française, la République ne se donnait pas les moyens de gommer les préjugés et les stéréotypes liés au passé. Entre dénonciation de la gestion coloniale et marginalisation de la parole des élus locaux qui exercent leurs droits politique dans un cadre légal qui ne les protège pas toutefois des représentations et des stéréotypes, les femmes de la colonie parviennent à s’immiscer dans les interstices laissés par la démocratie pour se rendre visible dans le corps des citoyennes, impulsant une dynamique dans les processus politiques, sociaux et culturels. Que quel que soit leur milieu et leur éducation, et sans attendre passivement l’octroi du droit de vote, elles avaient intériorisé les codes et les valeurs inhérents à la société nationale et à la République qui les pousse à agir pour faire évoluer et transformer la société. Malgré les dissonances locales, les Guyanaises et les Guyanais développent une identité culturelle propre marquée par des stratégies de résistance sociale et culturelle contre l'inefficacité et l'inaction de l'État ; renforçant la solidarité et la cohésion qui préfigurent les futures engagements politiques. Illettrées, elles marquent de leurs empreintes la vie politique sociale et culturelle de la société guyanaise, non pas pour défendre un quelconque droit des femmes, mais le maintien et le respect des droits communs. Elles instaurent une complicité teintée de complexité dans les rapports de genre qui sont autant de stratégies de survie dans le contexte colonial patriarcal où les tensions entre les élites cayennaises et la population rurale permettent aux premiers de justifier une rupture d’égalité au sein du territoire ; actant explicitement l’idée selon laquelle les institutions républicaines, dont le droit de vote, ont été appliquées trop prématurément dans les contrées rurales. Pour autant, l'implication des femmes dans la vie politique reste pour longtemps une question de classe sociale, même si leur participation à la politique reste limitée.