Thèse soutenue

De Lavoisier à Mendeleïev : l'identification d'éléments dans la pratique chimique entre 1770 et 1870

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Auteur / Autrice : Sarah Hijmans
Direction : Jean-Pierre Llored
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Histoire et de philosophie des sciences
Date : Soutenance le 27/02/2023
Etablissement(s) : Université Paris Cité
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Savoir, sciences, éducation (Paris ; 2019-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Laboratoire Sciences philosophie histoire (Paris ; 2009-....)
Jury : Président / Présidente : Karine Chemla
Examinateurs / Examinatrices : Karine Chemla, José Ramón Bertomeu Sánchez, Ursula Klein, Hasok Chang, Robin Findlay Hendry
Rapporteurs / Rapporteuses : José Ramón Bertomeu Sánchez, Ursula Klein

Résumé

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La définition de l'élément chimique en tant que substance simple, défendue par Antoine de Lavoisier dans son Traité Elémentaire de Chimie de 1789, est rapidement adoptée par les chimistes européens et reste dominante pendant la majeure partie du XIXe siècle. Malgré cela, les chimistes de l'époque admettent de nombreuses exceptions à cette définition lorsqu'ils tentent de déterminer si une substance est élémentaire ou non. La définition lavoisienne n'est, du reste, pas suffisante en elle-même pour identifier des substances élémentaires : la distinction entre substances simples et composées nécessite des connaissances préalables sur la composition des substances étudiées, sans lesquelles il est impossible d’interpréter les résultats expérimentaux. Par conséquent, l’étude de l’évolution des définitions historiques ne permet pas à elle seule de comprendre les pratiques chimiques au cours de ce siècle. A partir d’une série d’études de cas, cette thèse étudie comment, entre 1770 et 1870, les chimistes ont concrètement identifié des substances spécifiques comme étant des éléments chimiques. Les trois premiers chapitres traitent des travaux de Humphry Davy, Jöns Jacob Berzelius, Louis-Joseph Gay-Lussac et Louis Jacques Thenard au cours des deux premières décennies du XIXe siècle. Loin de fournir une méthode univoque pour l'isolement des substances élémentaires, leurs tentatives de décomposition chimique font partie d'une argumentation plus complexe intégrant des résultats expérimentaux, des inférences analogiques et des connaissances théoriques antérieures. S’appuyant sur l’idée selon laquelle les ressemblances de propriétés chimiques sont des signes d’une composition chimique similaire, ces chimistes se servent de l’analogie comme une forme de preuve dans l’étude de la composition. La deuxième partie de la thèse traite de l'identification de nouveaux éléments par l'analyse chimique des minéraux à partir du débat autour de la nature du tantale, du niobium et d'autres « métaux du tantale » dont l'existence est débattue entre 1801 et 1866. Dans ce cas également, la simplicité expérimentale des substances en question ne joue qu'un rôle secondaire dans l'identification des éléments : la pratique de l'analyse chimique inorganique vise à caractériser les éléments à partir de leurs composés, plutôt que de les étudier sous forme de substance simple. Ainsi, l'existence de nouveaux métaux est régulièrement démontrée à partir de l'identification de leurs oxydes métalliques sur la base d’un raisonnement analogique similaire qui repose sur le lien entre propriétés chimiques et composition. L’existence d’une tradition d’identification de diverses substances métalliques en lien avec leur intérêt économique permet aux chimistes analytiques de se fier aux méthodes établies sans avoir besoin de proposer des réflexions explicites sur leur usage de l’analogie. A partir de ces études de cas, cette thèse montre qu’entre 1770 et 1870, les identifications d'éléments ne suivent que rarement la définition communément admise selon laquelle chaque substance indécomposable doit être provisoirement identifiée comme un élément chimique. Inversement, tous les éléments chimiques ne sont pas isolés sous forme de substances indécomposables. L’identification des éléments chimiques se fait uniquement sur la base d’une convergence pragmatique entre différents types de preuve provenant de résultats expérimentaux et raisonnements analogiques. Cette conclusion indique que certains aspects de la définition des éléments chimiques de Mendeleïev sont déjà implicitement présents dans la chimie (post)lavoisienne ; de plus, elle contredit la caractérisation du concept d'élément chimique comme une notion purement empirique pendant la période qui sépare les travaux de Lavoisier de ceux de Mendeleïev. En effet, le concept d'élément chimique se trouve à l'intersection des pratiques expérimentales et théoriques, dont l'imbrication est au coeur de l'histoire de la chimie.