Thèse soutenue

« Vous avez bien là dequoy vous contenter les yeux, l'odorat & l'appetit ». Usages, fonctions et enjeux du lexique des perceptions sensorielles dans les récits de voyages français en Amérique (1545-1618)

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Auteur / Autrice : Rebecca Legrand
Direction : Marie-Claire Thomine-BichardGrégoire Holtz
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Langue et littérature françaises
Date : Soutenance le 17/05/2023
Etablissement(s) : Université de Lille (2022-....) en cotutelle avec University of Toronto
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sciences de l'homme et de la société (Lille ; 2006-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Analyses littéraires et histoire de la langue (Villeneuve d'Ascq, Nord)
Jury : Président / Présidente : Anne-Pascale Pouey-Mounou
Examinateurs / Examinatrices : Frédéric Tinguely, Andreas Motsch, Pascal Riendeau
Rapporteurs / Rapporteuses : Violaine Giacomotto-Charra, Marie-Christine Pioffet

Résumé

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Quels mots utiliser pour décrire les sensations procurées par un « nouveau » monde ? S'il est bien un genre littéraire qui se pose cette question, c'est celui de la littérature viatique. Bien avant l'intérêt porté à la sensibilité chez le voyageur romantique du XIXe siècle, les hommes ont cherché à traduire leurs sensations dans des récits conçus d'abord comme des témoignages oculaires. La perception visuelle est ainsi liée aux genres de l'histoire et de l'enquête depuis l'Antiquité. À la Renaissance, la littérature de voyages se situe au croisement entre l'histoire de la découverte de l'Amérique, l'évolution de la médecine et de l'intérêt porté au corps évoluant dans un environnement inconnu, et, enfin, l'enrichissement de la langue : discours littéraires et scientifiques s'y rejoignent, car ils se fondent tous deux sur le recours à l'expérience et à la connaissance. Notre travail souhaite mettre en lumière cette rencontre de disciplines en étudiant un corpus de neuf récits de voyages réalisés vers l'Amérique française (Canada, Floride, Brésil) depuis le Brief recit de Jacques Cartier (1545) jusqu'à l'Histoire de la Nouvelle-France de Marc Lescarbot (1618). La thèse souhaite ainsi envisager le processus de création lexicale qui s'applique à une nouvelle perception. Comment dire ce qui est inouï, ce qui n'a jamais été senti ? L'étude du lexique des trois sens les moins étudiés par la critique - le goût, l'odorat, et le toucher - permet d'abord d'envisager les liens entre perceptions et sensations, entre ce qui est réellement vécu et ce que les auteurs-voyageurs traduisent dans les textes. Toute sensation est forcément médiatisée par le langage. Comment rendre compte de cette tension entre les perceptions, les sensations et la mise à l'écrit ? Nous choisissons d'aborder le sujet par l'angle du lexique et de l'histoire de la langue française afin d'étudier comment les hommes de la Renaissance percevaient leurs corps, quel était le vocabulaire qu'ils utilisaient pour exprimer les sensations, comment ils en rendaient compte dans les récits de voyages. La perspective est également comparatiste : un tel corpus doit nécessairement être replacé dans un contexte européen plus large. Enfin, dans une volonté de décentrer l'histoire des savoirs, il importait de s'attarder sur la tradition orale autochtone. Comment les populations américaines, notamment les Premières Nations, ont-elles perçu l'arrivée des Européens ? La première partie de la thèse envisage les enjeux linguistiques de la reconstitution des perceptions dans les textes : quels sont les termes présents dans la langue française du XVIe siècle utilisés par les auteurs ? Les textes du corpus sont-ils originaux sur ce point lorsque l'on considère les usages linguistiques ? La deuxième partie met en regard un discours perceptif subjectif et une théorie de la perception comme mode d'accès à la connaissance. Autrement dit, nous examinons le lien entre littérature viatique et connaissance médicale et scientifique de l'époque. Enfin, nous nous intéressons plus largement aux tensions à l'œuvre dans la littérature de voyages entre une perception vécue, source de représentations authentiques, et une perception codifiée, artificiellement articulée à la nécessité de fabriquer des merveilles, de l'extraordinaire et de l'altérité.