Thèse soutenue

Le soupçon et le reproche : les dessous normatifs de la prévention de la radicalisation et de la lutte contre le séparatisme (2014-2022)

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Auteur / Autrice : Aïcha Bounaga
Direction : Caroline Guibet Lafaye
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sociologie
Date : Soutenance le 21/09/2023
Etablissement(s) : Toulouse 2
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Temps, Espaces, Sociétés, Cultures (Toulouse)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Laboratoire interdisciplinaire Solidarités, sociétés, territoires (Toulouse)
Jury : Président / Présidente : Nacira Guénif Souilamas
Examinateurs / Examinatrices : Ahmed Boubeker, Elsa Dorlin, Abdellali Hajjat
Rapporteur / Rapporteuse : Nadia Fadil, Julien Talpin

Résumé

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À partir de 2014, l’État français met en place une variété de mesures visant à prévenir la radicalisation d’inspiration islamique. Cette politique publique donne simultanément lieu à une importante littérature de sciences sociales, soit sous la forme de commandes publiques en vue de la formalisation des signes annonçant la dérive radicale, soit à dévoiler de manière critique les aboutissements sécuritaires auxquels n’a de cesse de conduire la lutte contre la radicalisation. L’étude qui suit s’attache cependant à un pan non questionné de ces mesures et dispositifs institutionnels, c’est-à-dire l’éthique et la diversité des énoncés normatifs qui les sous-tendent. Si la menace de la violence politico-religieuse est en effet en toile de fond des mesures et des discours de la prévention de la radicalisation, cette séquence historique est également celle d’une profusion de prescriptions quant à la bonne manière de vivre sa vie au sein de la société libérale et séculière.À cet effet, différentes enquêtes menées au sein d’une région du Sud de la France permettent de restituer la normativité qui est ainsi à l’œuvre dans la prévention de la radicalisation : par le biais d’entretiens avec des membres de corps préfectoraux, d’autres avec des travailleurs sociaux de diverses structures associatives mobilisées par la commande publique et des imams également appelés à produire une norme de modération religieuse, par l'analyse de la littérature officielle, et l'observations de colloques et de sessions de formation et analyse de contenus audiovisuels.La thèse examine d’abord comment la prévention de la radicalisation crée les conditions de possibilités de formulation de normes, notamment à travers la mobilisation de pans divers de la société, dont l’université, le travail social, ou encore la sphère religieuse. Ce travail offre une analyse approfondie de la place du genre dans la prévention de la radicalisation qui se définit comme étant fondamentalement liée à la cause des inégalités entre hommes et femmes, en particulier celles dont les fondements seraient religieux. La prévention de la radicalisation est en effet le moment d’une formulation implicite des normes de genre dans la société française, qui définissent ce que serait une bonne féminité (notamment à travers la description des femmes radicalisées comme femmes déviantes car déviant de leur féminité naturelle). Outre la lutte contre les inégalités de genre, les discours de la prévention de la radicalisation en font également un enjeu de lutte contre les discriminations, notamment raciales. La définition spécifique du racisme et de l’antiracisme portée par la prévention de la radicalisation présente le problème des discriminations raciales comme un facteur possible de déviance radicale, et non comme un problème en soi. L’expérience de la discrimination pourrait en effet, selon cette perspective, amener à l’adoption d’une « posture victimaire » ou bien à une prise de distance de la victime de racisme vis-à-vis de la nation française - ce qui pourrait être au principe de velléités violentes. Enfin, cette thèse propose également une analyse du passage d’une politique de prévention à une politique de répression, caractérisé par l’abandon de certaines caractéristiques normatives de la prévention de la radicalisation, notamment la pratique du signalement, la stratégie de contre-discours, la caractérisation des individus déviants comme victimes, la mobilisation des savoirs et des pratiques relevant du travail social et de la psychologie, ainsi que la participation des acteurs religieux et des chercheurs. La lutte contre le séparatisme se base plutôt sur une normativité répressive qui ne vise plus réintégrer des individus à déviants à une norme nationale.