Thèse soutenue

Le vécu traumatique des douleurs chroniques

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Auteur / Autrice : Raphaël Abraham Ayache
Direction : Henri ChabrolNelly Goutaudier
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Psychopathologie
Date : Soutenance le 28/09/2023
Etablissement(s) : Toulouse 2
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Comportement, Langage, Éducation, Socialisation, Cognition (Toulouse)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre d'études et de recherches en psychopathologie et psychologie de la santé (Toulouse ; 2016-....)
Jury : Président / Présidente : Nicole Rascle
Rapporteurs / Rapporteuses : Grégory Michel, Damien Fouques

Résumé

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’expérience des douleurs chroniques peut être bouleversante, jusqu’à ébranler le sens que les personnes donnent à leur vie et attaquer la continuité du sentiment d’exister. La répétition des douleurs divise la perception du corps et fait perdre le sentiment d’unité corporelle. Les douleurs agissent comme des intrusions qui entravent la pensée, s’opposent à la mise en acte de la volonté et usent les ressources émotionnelles et physiques. L’identité est alors menacée par la perte de rôles sociaux et par le renoncement à l’accomplissement des buts de vie valorisés. Les relations aux autres peuvent être menacées par le rejet social et la stigmatisation. A cela s’ajoute la peur envahissante de ne pas être cru(e) et compris(e) dans l’épreuve de ce mal invisible. La perception d’un manque de soutien de l’entourage et du corps soignant peut précipiter un sentiment de déchéance. Toutes ces caractéristiques rapprochent le vécu des douleurs chroniques d’une expérience traumatique en elle-même, en faisant peser la menace d’un effondrement psychologique. Pourtant, cette perspective n’est pas considérée dans la recherche sur la douleur chronique, au motif que cette situation ne répond pas aux critères étroits du trouble de stress post-traumatique. L’objectif de ce travail de thèse est donc de tester la pertinence de ce cadre de compréhension.La première étude est une analyse par profils de participants ayant des douleurs chroniques diverses, sur la base de leurs niveaux de croissance post-traumatique (CPT) (i. e., processus de reconstruction positive), d’acceptation, de flexibilité psychologique et d’interférence des douleurs. Nos résultats montrent que l’acceptation des douleurs, associée aux niveaux de perturbations les plus faibles, n’est pas synonyme de CPT, qui suppose un ébranlement traumatique antérieur et se manifeste en présence d’une perturbation intermédiaire. Le groupe le plus envahi par les douleurs ne rapportait pas de CPT, ce qui est compatible avec le fait qu’une perturbation excessive fait obstacle à l’acceptation ou à l’émergence de CPT.Notre deuxième étude est une analyse par profils des personnes douloureuses selon leurs niveaux de croissance et de dépréciation post-traumatiques, en comparant les niveaux rapportés de sentiments relatifs aux ruptures intra et interpersonnelles (sentiment d’injustice, de honte, de culpabilité, de défaite mentale, d’aliénation, etc…) et de symptômes psychopathologiques. Les résultats montrent une vue cohérente des manifestations émotionnelles selon que la reconstruction de sens se fait sur un versant plutôt positif, plutôt négatif ou ambivalent.Notre troisième étude est une validation en langue française d’un auto-questionnaire évaluant la sensibilité au traumatisme de la douleur (STD), conçue comme la propension à développer des réactions à la douleur analogues à celle d’un stress post-traumatique. Les propriétés psychométriques de cet outil (testé dans des échantillons de personnes sans douleur, avec des douleurs aiguës et avec des douleurs chroniques) s’avèrent suffisamment satisfaisantes pour un usage en pratique courante.Notre dernière et quatrième étude se penche sur les déterminants relationnels de cette STD chez des personnes douloureuses. Nos résultats montrent que l’effet d’un style d’attachement anxieux sur la STD est médié par la crainte du rejet social et par la dissimulation de soi, comme stratégie d’évitement. Le style d’attachement évitant a aussi un effet sur la STD, médié seulement par la dissimulation de soi.Dans l’ensemble, les résultats de nos quatre études transversales confirment la pertinence d’une compréhension du vécu des personnes souffrantes, sous l’angle d’un traumatisme induit par les douleurs chroniques elles-mêmes. Ce cadre permet de repenser l’axe de prise en charge des personnes qui éprouvent le bouleversement intime induit par la chronicité des douleurs, indépendamment de leur(s) cause(s).