Thèse soutenue

La liberté au-delà du choix : essais sur la valeur des engagements en économie normative

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Auteur / Autrice : Kevin Leportier
Direction : Annie L. CotMatthew Braham
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sciences économiques
Date : Soutenance le 27/11/2023
Etablissement(s) : Paris 1
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale d'Économie (Paris ; 2004-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre d'économie de la Sorbonne (Paris ; 2006-....)
Jury : Président / Présidente : Marc Fleurbaey
Examinateurs / Examinatrices : Annie L. Cot, Matthew Braham, Marc Fleurbaey, Constanze Binder, Antoinette Baujard, Franz Dietrich
Rapporteurs / Rapporteuses : Constanze Binder, Antoinette Baujard

Résumé

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Alors que l'économie normative s'est historiquement centrée sur la satisfaction des préférences et l'utilité, cette thèse plaide en faveur d'une vision plus large de l’évaluation des institutions et des politiques économiques, englobant la façon dont elles affectent la liberté individuelle. À la suite des travaux d'Amartya Sen et de John Rawls, l'évaluation des institutions économiques en termes de justice sociale — une dimension qui avait d'abord été reléguée au second plan — a suscité un intérêt croissant. Cette perspective élargie a également ravivé l'intérêt pour le concept de liberté. Des économistes de renom tels que Milton Friedman, Friedrich Hayek et Sen, ont intégré le concept de liberté dans leurs travaux, reconnaissant ainsi son importance. Une nouvelle littérature sur la mesure de la liberté de choix a vu le jour, fournissant un cadre pour évaluer à quel point les individus sont libres au sein des systèmes économiques. Elle présuppose qu'une augmentation de la liberté est une bonne chose, même si elle ne conduit pas nécessairement à un plus grand bonheur ou à une meilleure satisfaction des préférences. Toutefois, cette perspective se heurte à l'objection évidente selon laquelle les individus peuvent ne pas accorder de valeur à une liberté accrue. Dans certains contextes, le fait d'avoir trop d'options peut être contre-productif, en particulier lorsque le temps et l'attention sont limités, que des problèmes de contrôle de soi se posent, ou dans des contextes d'interaction stratégique. Les individus peuvent améliorer leur situation en restreignant de manière délibérée leurs options, ce que j’appelle des actes d’engagement (textit{commitment}). Cette thèse propose un changement de paradigme en suggérant que le choix de ne pas choisir peut être conçu comme un exercice de la liberté individuelle plutôt que comme un renoncement à elle. Des économistes tels que Sen, James Buchanan, Thomas Schelling et Robert Sugden ont déjà formulé ou discuté ce point de vue, qui sera approfondi dans la thèse. Pour ce faire, il est essentiel de clarifier la nature de la liberté impliquée dans ce jugement. Cela implique une perspective multidisciplinaire alliant économie et philosophie politique, qui a fait de la liberté l'objet d'un examen approfondi. Le choix paradoxal de ne pas choisir introduit des complexités philosophiques. Ce choix révèle un conflit dans les préférences individuelles, ce qui contredit l'hypothèse économique traditionnelle de préférences stables et cohérentes. La question suivante se pose alors: si les individus préfèrent parfois ne pas choisir, une intervention limitant leurs choix peut-elle être souhaitable du point de vue de la liberté ? La réponse dépend de la manière dont on représente les intérêts de l'agent économique qui fait cet acte d'engagement et de notre conception de la liberté. Cette thèse explore les implications méthodologiques et éthiques de ces questions, en mettant en évidence les jugements de valeur que les économistes émettent lorsqu'ils adoptent une représentation plutôt qu'une autre ou qu'ils sélectionnent des critères spécifiques pour évaluer les choix. Située dans le domaine en plein essor de la philosophie de l'économie, la thèse examine les fondements méthodologiques de l'économie normative et l'intersection complexe entre l'éthique et l'économie. Du point de vue de l'éthique économique, la thèse analyse les arguments pouvant être présentés dans divers débats publics sur l'économie concernant le rôle des marchés et la nécessité d'interventions publiques, en s'appuyant sur la littérature et les modèles économiques. D'un point de vue méthodologique, elle examine le rôle des valeurs dans l'économie normative en tant que discipline évaluative, contribuant ainsi à une meilleure compréhension des fondements conceptuels qui sous-tendent l'économie normative.