Thèse soutenue

Cultiver l'absence : trajectoires et relations paysagères en pays Diola (Basse Casamance - Sénégal méridional)

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Auteur / Autrice : Camille Ollier
Direction : Michel RasseTobias Haller
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Géographie
Date : Soutenance le 20/12/2023
Etablissement(s) : Lyon 2
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sciences sociales (Lyon)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Archéorient Lyon
Jury : Président / Présidente : Yves-François Le Lay
Examinateurs / Examinatrices : Anne Mayor, Moustapha Sall
Rapporteurs / Rapporteuses : Catherine Mering, Enguerran Macia

Résumé

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Les rizières et les pratiques rizicoles, en Basse-Casamance (Sénégal méridional), frappent autant par leur présence que par leur absence. Ou, plutôt, elles frappent par le déclin qu’elles connaissent, dans un contexte marqué par des changements agroécologiques importants, mais aussi par la déprise rurale, agricole et les migrations de travail. Ces déprises interrogent l’évolution des paysages historiques de la région, partagés entre rizières et villages abrités sous la forêt. Depuis les années 1960, les travaux de géographie n’ont pas cessé de montrer combien la société diola était en proie à des bouleversements majeurs d’ordre climatique. Les anthropologues ont insisté sur les changements socio-économiques des modes de vie, et notamment sur les migrations urbaines – définitives ou de longue durée – qui ont participé à substituer aux agrosystèmes familiaux vivriers des sociétés parfaitement intégrées aux logiques de l’emploi et aux pratiques alimentaires mondialisées. Restait à interroger la très grande échelle, pour la confronter aux logiques régionales déjà dépeintes, ainsi que le point de vue local sur ces bouleversements. Peu de travaux s’appuient sur des données ethnographiques denses,et le regard des Diola sur ces changements paysagers n’est au coeur des préoccupations que depuis quelques années. Ce travail propose une réflexion sur la notion de trajectoire paysagère, qui confronte les apports de l’analyse paysagère classique en géographie et ceux de l’anthropologie sociale via les méthodes ethnographiques.L’analyse diachronique des images satellitales disponibles (2003 et 2021) a permis de cartographier l’évolution de l’occupation du sol dans les deux villages de l’étude, et montre clairement combien les facteurs environnementaux et socio-économiques à l’oeuvre transforment les paysages rizicoles à très grande échelle. Les prospections guidées par les enquêté·es, ainsi que l’étude toponymique, ont permis de prendre en compte simultanément l’état actuel des paysages et la mémoire de leurs états passés. Le traitement qualitatif des entretiens et des enquêtes biographiques a apporté des contre-points majeurs à cette lecture axée sur les trajectoires agroécologiques. L’enquête ethnographique a permis de souligner combien la riziculture était à la fois une pratique très variable et un invariant culturel central dans l’organisation familiale et sociale.La prise en charge du point de vue local ainsi que l’approche par les discours autochtones complexifient grandement une analyse paysagère fondée, de prime abord, sur la matérialité des espaces et les temporalités de leurs transformations. En effet, les nouvelles pratiques d’habiter, de travail, de circulation des Diola, mais aussi la manière changeante dont chacun·e se projette dans le groupe, invitent à interroger non plus les changements des paysages, mais bien les temporalités changeantes selon lesquelles les individus habitent, travaillent ou abandonnent les espaces en question. Les trajectoires paysagères ne renvoient plus, alors, aux dynamiques des espaces matériels vus et vécus, mais bien aux différentes modalités et temporalités selon lesquelles les individus se projettent dans le monde.En cultivant l’absence, les Diola ne cessent pas de cultiver le riz, ni même de faire groupe. Les dynamiques sociales, anciennes et actuelles, individuelles et collectives, montrent au contraire que les objets compris comme traditionnels (la riziculture et les paysages associés) sont constamment réinvestis, remaniés, toujours refaçonnés par le contexte environnemental, socio-économique et familial. Contre l’idée d’une dégradation inexorable des paysages et des pratiques agricoles anciennes, cette thèse propose de croiser les apports de la géographie et de l’anthropologie pour réinterroger les notions de trajectoires et de temporalités paysagères, et ainsi les comprendre comme des objets individuels, relationnels, phénoménologiques et résolument complexes.