Thèse soutenue

America sur Meurthe. La mémoire du « baptême de l'Amérique » aux États-Unis et en Lorraine, 1875-années 2010

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Auteur / Autrice : Julien Desprez
Direction : Didier Francfort
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Histoire
Date : Soutenance le 17/11/2023
Etablissement(s) : Université de Lorraine
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Humanités Nouvelles - Fernand Braudel (Lorraine)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre de recherche sur les cultures et les littératures européennes (Nancy)
Jury : Président / Présidente : Birte Wassenberg
Examinateurs / Examinatrices : Didier Francfort, Ludovic Tournès, Jenny Raflik, André Kaenel, Anaïs Fléchet
Rapporteurs / Rapporteuses : Ludovic Tournès, Jenny Raflik

Résumé

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L'Amérique tire son nom des travaux d'un groupe d'érudits réunis autour du chanoine Vautrin Lud à Saint-Dié, dans le duché de Lorraine. Le 25 avril 1507, ils publient la Cosmographiæ Introductio, premier ouvrage dans lequel apparaît le mot America. Ce nom connaît un succès rapide et se diffuse dans l'Europe de la Renaissance. Dès le milieu du XVIe siècle, l'origine du nom de l'Amérique se brouille et il faut attendre les années 1830 pour qu'Alexander von Humboldt remette en lumière les travaux géographiques de Saint-Dié, ouvrant la voie à de nombreux travaux érudits. En 1875 apparaissent les expressions « marraine » et « baptême de l'Amérique ». À l'origine, elles désignent la Lorraine dans son ensemble avant d'être captées une quinzaine d'années plus tard par la seule ville de Saint-Dié, notamment sous l'influence de sa société savante, qui prétend avoir identifié le lieu précis où le nom de l'Amérique aurait été inventé. Dès lors, le « baptême de l'Amérique » devient un enjeu mémoriel pour cette ville vosgienne, qui se sert de cet épisode historique comme support de relations culturelles internationales à l'égard du continent américain, puis des seuls États-Unis, tout en s'efforçant de lui conférer une dimension populaire. Tout au long du XXe siècle, cette mémoire connaît des phases de repli et de résurgence en fonction de l'état des relations franco-étatsuniennes et du niveau d'américanisation et d'antiaméricanisme dans la société française. En 1911, de grandes fêtes dites « franco-américaines » sont organisées à Saint-Dié en présence de l'ambassadeur des États-Unis à Paris. Après la Seconde Guerre mondiale, la mémoire du « baptême de l'Amérique » est utilisée pour demander aux États-Unis un traitement de faveur dans le cadre de l'aide aux sinistrés de Saint-Dié, ville détruite en novembre 1944. Les années 1950 et 1960 connaissent un certain reflux de cette mémoire dans le contexte de la guerre froide. À partir des années 1970, on assiste à une nouvelle dynamique, qui trouve son apogée dans les années 1980 (dans un contexte de nouvel engouement pour les États-Unis et son charismatique président Reagan) et surtout 1990, après la fin de la guerre froide et l'avènement de l'hyperpuissance étatsunienne. La municipalité de Saint-Dié s'appuie alors sur cette mémoire pour fonder son Festival International de Géographie. Depuis les années 2000, cette mémoire connaît une nouvelle phase de recul, en lien avec l'émergence d'un monde en voie de multipolarisation. Aux États-Unis, la mémoire de la première dénomination de l'Amérique répond à des mécanismes très différents. Les expressions de « marraine » et de « baptême » de l'Amérique ne s'y sont pas bien acclimatées. En raison du poids de la communauté des German-Americans, l'opinion publique étatsunienne se focalise principalement sur les origines allemandes de l'inventeur supposé du nom de l'Amérique ; la dimension lorraine de ce nom est nettement moins mise en avant. L'aspect de cette histoire qui intéresse le plus les États-Unis concerne la grande mappemonde conçue dans l'entourage du cénacle de Saint-Dié en 1507, représentant pour la première fois le Nouveau Monde comme une entité continentale distincte de l'Asie et qui comporte pour la première fois le nom America. Ce document, dont le seul exemplaire connu a été redécouvert en Allemagne en 1901, est surnommé « l'acte de naissance de l'Amérique ». Il constitue un enjeu mémoriel fondamental dans la mesure où les États-Unis ont progressivement capté à leur profit le nom « Amérique ». L'acquisition de cette carte en 2003 par la Bibliothèque du Congrès constitue une forme d'aboutissement de ce processus mémoriel. Même si de nombreux passeurs tentent de la faire vivre entre les deux rives de l'Atlantique, la mémoire de la première dénomination de l'Amérique est donc très asymétrique entre la Lorraine et les États-Unis puisqu'elle ne répond pas à la même intensité ni aux mêmes enjeux tout au long de la période considérée.