Fictions ventriloques : mise en abyme et narrations subjectives dans le roman moderniste européen
Auteur / Autrice : | Nicolas Piedade |
Direction : | Bertrand Westphal |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Littératures comparées |
Date : | Soutenance le 24/03/2023 |
Etablissement(s) : | Limoges |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Littératures, Sciences de l’Homme et de la Société (Limoges ; 2022-) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Espaces Humains et Interactions Culturelles |
Jury : | Président / Présidente : Till R. Kuhnle |
Examinateurs / Examinatrices : Simona Micali | |
Rapporteur / Rapporteuse : Ana Paula Coutinho Mendes, Isabelle Krzywkowski |
Mots clés
Résumé
La littérature moderniste est communément définie par la critique autour de la notion de crise. Elle s'étend sur une période dont l'échelle varie selon les critiques, mais qu'il est néanmoins possible de circonscrire vulgairement des débuts du symbolisme (Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé) aux débuts la seconde guerre mondiale. On comprendra dès lors que le modernisme a fait l'objet d'une circulation entre les différentes ères culturelles, d'abord européennes puis américaines, ce qui en fait un mouvement aux contours certes fluctuants, mais dont l'unité déborde très largement les limites des frontières. Dès lors, que penser d'une crise généralisée de la littérature, qui plus est à une échelle aussi large ? Si la question est souvent traitée à propos de la poésie, il est néanmoins nécessaire pour la critique de s'intéresser aux autres genres, sachant que le modernisme se caractérise aussi par une forte hybridation des formes, la prose contaminant la poésie et inversement. La littérature de cette période développe alors un langage qui est appelé à examiner sa propre portée, sa propre capacité à signifier dans l'élan même qui organise sa forme. On observe alors l'apparition presque systématique, au cœur des productions modernistes, de constructions permettant aux œuvres d'examiner et de penser leur propre matière en même temps qu'elles la développent. Le modernisme se caractérise donc par un recours fondamental à la réflexivité. Dès lors, travailler sur le roman moderniste implique nécessairement de s'intéresser aux éléments de mise en crise de ce qui constitue la condition même du récit et forge son essence : la narration. À l'unité du roman réaliste, les romanciers ont préféré des formes disloquées, hybrides, au déroulement discontinu, voire paradoxal. Parce que le sujet du roman moderniste devient le roman lui-même ainsi que les conditions qui ont présidé à son apparition, le récit se concentre de manière manifeste autour des problématiques et des figures liées à l'écriture. On observe alors une recrudescence de personnages d'artistes et de romanciers confrontés aux apories de la création. Or, le corpus romanesque moderniste possède cela de remarquable qu'il intègre nombre de figures en abyme de ces personnages de créateurs. Par ce moyen, les romanciers procèdent à une sorte de détournement figuré de l'origine de l'écriture, attribuée à un personnage d'auteur intégré à la fiction. Le narrateur du roman sert en quelque sorte de relais à l'écriture et à la voix qui la porte, s'attribuant ainsi figurément la paternité du texte. Ces œuvres ne sont dès lors plus de simples « romans du romancier », mais constituent plutôt de véritables réflexions sur la capacité du récit à dire le monde, sur l'unité du roman et l'impossibilité d'une prétention à la narration objective, produisant ainsi une matière textuelle aux contours mouvants, fluctuants. Le regard subjectif du narrateur, seul prisme de la réalité représentée, devient la source de déformations qui mettent en tension les codes traditionnels du roman, contaminant certes les conditions de la narration, mais aussi de manière substantielle l'espace et la temporalité du récit, son unité, de même que ses conditions de réception. Le roman laisse donc une grande place au doute, à la confusion, à la distorsion voire au mensonge d'un regard subjectif nécessairement incomplet, incertain, voire victime de ses propres manques. La narration devient relativiste, sorte de révolution copernicienne qui va nous permettre de nous demander au cours de notre travail en quoi les représentations en abyme des figures de l'écrivain permettent au roman moderniste de se définir comme un espace fondamentalement réflexif, impliquant par là un renouvellement des systèmes de la narration classique par l'intégration et le développement de logiques narratives et herméneutiques propres à la modernité.