Thèse soutenue

''Travestir la vérité en tout temps et en tous lieux !'' Etude comparative de trois académies et concours de ''menteurs'' en Europe : Moncrabeau (France), Namur (Belgique), Le Piastre (Italie). Entre tradition et actualisation (XVIIIe-XXIe siècles)

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Auteur / Autrice : Hervé Bouillac
Direction : Jean-Pierre Cavaillé
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Anthropologie sociale et historique
Date : Soutenance le 20/06/2023
Etablissement(s) : Paris, EHESS
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales
Jury : Président / Présidente : Nicolas Adell
Examinateurs / Examinatrices : Nicolas Adell, Laurent Sébastien Fournier, Véronique Moulinié, Bénédicte Bonnemason, Patricia Heiniger
Rapporteurs / Rapporteuses : Laurent Sébastien Fournier, Véronique Moulinié

Résumé

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Cette thèse a pour objet l’étude de trois « concours de menteurs » qui se déroulent chaque été dans trois localités en Europe : Moncrabeau, dans le Sud-Ouest de la France, Namur en Belgique et Le Piastre, petit village de l’Apennin toscan. Ils ont été mis en place entre 1966 et 1973, dans une période marquée par un phénomène assez généralisé de revitalisation, selon des modalités variées, de traditions en déclin ou éteintes. Ici, la pratique traditionnelle de la « menterie » a été remise au goût du jour sous la forme du concours ouvert à tous, qu’il s’agisse d’une relance ou d’une « innovation ». Cette pratique culturelle, presque exclusivement masculine à l’origine, n’a de visée première que le jeu, l’amusement, la farce, quelle que soit la période concernée. Toutefois, elle a pu assurer des d’autres fonctions, moins explicites, en fonction des situations d’énonciation, des modes d’expression et de diffusion (oralité/imprimé), des aires et des époques. La « menterie », terme d’ancien français, prédomine dans les discours de ses défenseurs et de ses praticiens, en France et en Belgique tout au moins. Il sert à bien marquer la distinction entre le mensonge moral et ce qu’ils aiment à définir comme un « travestissement de la vérité ». L’analyse comparée des trois concours organisés et animés par l’Académie des menteurs de Moncrabeau, l’Accademia della bugia et la Royale Moncrabeau de Namur s’appuie sur des observations réalisées entre 2015 et 2019. Elle se fonde également sur un important travail de recherche documentaire et archivistique destiné aussi bien à éclairer l’histoire contemporaine des concours qu’à saisir l’épaisseur temporelle de la tradition locale de la « menterie » dans laquelle chacun d’eux s’inscrit (partie II). Un essai de bilan historiographique préliminaire de cette forme d’expression, longtemps dédaignée par la recherche, met en lumière des approches différenciée selon les régions : un intérêt précoce aux Etats-Unis, généralement plus tardif en France et en Europe. Il dévoile, au-delà des délicates question de définition, la diversité des contextes dans lesquels la « menterie » a pu s’énoncer à des époques différentes ; mais aussi un corpus de thèmes et de motifs assez peu étendu, que semblent avoir privilégié, jusqu’au siècle dernier, les conteurs et praticiens de la « menterie » (partie I). Partant des analyses développées à la fin des années 1980 par Vera Mark sur Moncrabeau (la fête comme célébration d’une identité ethnique, et les « menteries » comme récits idéologiques aux messages multiples et ambivalents), il s’agit de confronter les situations à trente ans d’intervalle, tant du point de vue de l’espace festif, de l’expression localiste que des récits et des performances. De même, le recueil de « menteries » doit être considéré sous le rapport de l’histoire de la pratique de la « menterie », telle qu’elle a été retracée dans la première partie. Alors que nos sociétés contemporaines sont marquées par des transformations (technologiques et sociétales notamment) considérables depuis une vingtaine d’années, l’intérêt heuristique de la comparaison se révèle pleinement. Celle-ci doit permettre d’expliquer en quoi les évolutions différenciées qu’il est possible de repérer sur les trois terrains traduisent ou accompagnent ces transformations. Partant, les trois manifestations seront interrogées sous le prisme classique de la « tradition » et d’« invention de la tradition », mais aussi à l’aune du rapport entre local et global, de l’expression collective et individuelle des identités, du développement économique des territoires, de mise en tourisme, de patrimonialisation et des analyses développées ces dernières années par les Festive Studies (partie III).