Thèse soutenue

Sous-traiter le contrôle migratoire : Le rôle des acteurs non étatiques dans la mise en oeuvre de l'enfermement administratif des étrangers (Paris, Lampedusa, Lesbos)

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Auteur / Autrice : Louise Tassin
Direction : Jocelyne Streiff-Fénart
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sociologie
Date : Soutenance le 05/01/2023
Etablissement(s) : Université Côte d'Azur
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sociétés, humanités, arts et lettres (Nice ; 2016-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Unité de recherche Migrations et Société. UMR 8245 (CNRS). UMR 205 (IRD) (Paris et Nice ; 2014-)
Jury : Président / Présidente : Swanie Potot
Examinateurs / Examinatrices : Aurélie Mathilde Darley
Rapporteurs / Rapporteuses : Philippe Bezes, Camille Hamidi

Résumé

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Depuis les années 2000, l'enfermement des étrangers est devenu un instrument central des politiques migratoires dans l'Union européenne, où se sont multipliés les centres de rétention destinés à organiser l'expulsion des personnes sans titre de séjour. Fondée sur des enquêtes ethnographiques menées en France, en Italie et en Grèce, cette thèse explore un aspect encore peu documenté de ces dispositifs au cœur du contrôle des frontières : leur délégation croissante à des acteurs privés lucratifs ou associatifs. En conjuguant analyse d'archives, observations dans ces lieux et entretiens auprès de leurs professionnels, elle étudie les transformations de la rétention sous l'effet de l'externalisation et ses conséquences sur les étrangers enfermés. Son premier apport a trait aux conditions socioprofessionnelles de la sous-traitance. L'analyse de l'organisation du travail et des trajectoires des employés montre que les tâches subalternes ont été déléguées à une main d'œuvre précaire - immigrée dans le cas français, locale dans les cas grec et italien -, et que la dégradation des conditions de travail se répercute sur les conditions d'enfermement. La seconde contribution de cette thèse porte sur les recompositions de l'action publique dans un domaine régalien par excellence : le contrôle migratoire. Il apparaît que l'externalisation relève moins d'un désengagement de l'État que d'une transformation de ses modalités d'exercice, entre délégation du contrôle et contrôle de la délégation, qui favorise des formes à la fois d'instrumentalisation politique et de dilution des responsabilités. Enfin, notre recherche éclaire la normalisation des mesures d'expulsion. Elle montre que la politisation de la lutte contre l'immigration irrégulière est le pendant d'une dépolitisation du travail en rétention, entre émiettement des tâches, diffusion d'une rhétorique de l'assistance et criminalisation des retenus. En définitive, à la croisée de la sociologie du travail, de l'action publique et de l'immigration, la thèse met à l'épreuve l'idée que des prestataires de service ne disposant a priori pas d'un pouvoir discrétionnaire peuvent façonner discrètement les politiques publiques. Si les modalités et les effets de l'externalisation varient sensiblement selon les cas étudiés, force est de constater que la mise en scène de la fermeté étatique en matière d'immigration dans l'UE, qui s'appuie sur un dispositif d'enfermement difficilement conciliable avec le respect des droits, repose pour partie sur une délégation sourde de sa mise en œuvre à un personnel flexible qui, sauf exception, n'est guère en mesure de contester les abus observés, quand il n'y contribue pas.