Les procureurs en Turquie, des « empereurs sans pouvoir » ? Étude d'un groupe professionnel pris entre la managérialisation et la politisation de la justice
Auteur / Autrice : | Gözde Aytemur |
Direction : | Benoit Bastard, Zeynep Verda Irtis-Dabbagh |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Sociologie, démographie, anthropologie |
Date : | Soutenance le 15/12/2022 |
Etablissement(s) : | université Paris-Saclay |
Ecole(s) doctorale(s) : | Sciences Sociales et Humanités |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Institut des sciences sociales du politique (Nanterre ; 2006-....) |
référent : École normale supérieure Paris-Saclay (Gif-sur-Yvette, Essonne ; 1912-....) | |
graduate school : Université Paris-Saclay. Graduate School Sociologie et science politique (2020-....) | |
Jury : | Président / Présidente : Cécile Vigour |
Examinateurs / Examinatrices : Élise Massicard, Ipek Merçil, Christian Mouhanna, Claire Visier | |
Rapporteurs / Rapporteuses : Cécile Vigour, Élise Massicard |
Résumé
Cette thèse porte sur le groupe professionnel des procureurs en Turquie et s'intéresse plus particulièrement à la transformation de leur activité sous l'effet de l'adoption des réformes du droit dans les années 2000 ainsi que de l'intensification des crises politiques dans le milieu judiciaire suite à l'émergence des affaires de corruption en 2013. Les réformes de la justice, qui avait visé à rendre l'institution plus efficace en s'appuyant sur le développement de pratiques managériales, ont conféré aux procureurs un rôle de premier plan, faisant d'eux les « empereurs de l'enquête ». Or, les procureurs ont connu dans la période étudiée des expériences qui se caractérisent au contraire par une grande impuissance ainsi que par la perte de leur autonomie en raison tant des contraintes managériales que des interventions politiques. Dans la pratique, cette impuissance judiciaire se manifeste d'une part dans la mise en place d'un système dans lequel ils délèguent leurs responsabilités judiciaires à la police durant la conduite de l'enquête ainsi qu'au juge qui reste dominant dans le déroulement des audiences et la décision finale. C'est pourquoi, contrairement au discours des réformes, les procureurs se considèrent comme « empereur sans pouvoir » dans l'exercice de leur métier. D'autre part, comme une conséquence de l'intensification récente des crises politiques, l'impuissance des procureurs résulte du fait que le pouvoir exécutif a pris, pour se protéger, des mesures légales qui affaiblissent les procureurs en les mettant sous la surveillance d'autres acteurs, la police, les préfets et les juges. Les procureurs font l'expérience de toutes sortes d'injustices dans l'évaluation de leur travail et doivent faire face à la normalisation de la pratique du favoritisme au sein du monde judiciaire et à la disparition de la méritocratie dans leur métier.La thèse est composée des chapitres suivants.Le premier chapitre de la thèse évoque les défis méthodologiques qui se sont posés à la chercheuse compte tenu des fluctuations du contexte politique et présente le travail réalisé sur le terrain. La thèse s'appuie notamment sur un ensemble de trente-deux entretiens réalisés entre 2012-2016 ainsi que sur des observations et l'étude de récits biographiques.Le chapitre 2 place le procureur dans le système judiciaire en Turquie dans une perspective socio-historique. Cette quête des racines du groupe professionnel montre les tendances récurrentes des procureurs dans leur réponse à l'instabilité politique.Le troisième chapitre, montre comment les réformes du droit engagées dans les années 2000 ont transformé les pratiques des procureurs et comment ceux-ci ont reçu et traité les impératifs managériaux.Le dernier chapitre examine les effets de l'intensification des tensions politiques sur l'exercice des activités judiciaires des procureurs et propose une analyse de leur positionnement face au renforcement de la politisation de la justice.L'ensemble de la recherche permet d'engager une réflexion plus générale sur l'évolution de ce groupe professionnel pris, depuis sa création, dans des tensions fortes entre la poursuite de l'idéal du métier - en tant que gardien du régime ou protecteur de l'ordre - les nouvelles injonctions managériales et le rapport de force avec les instances politiques.