Thèse soutenue

Une justice des mineurs à deux visages : enfermer les uns pour protéger les autres ? Socio-histoire de la chaîne carcérale et ethnographie en centre éducatif fermé

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Auteur / Autrice : Rita Carlos
Direction : Renée ZaubermanMathilde Darley
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sociologie, démographie, anthropologie
Date : Soutenance le 06/10/2022
Etablissement(s) : université Paris-Saclay
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sciences sociales et humanités (Versailles ; 2020-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Guyancourt, Yvelines ; 1983-....)
Référent : Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (1991-....)
graduate school : Université Paris-Saclay. Graduate School Sociologie et science politique (2020-....)
Jury : Président / Présidente : Isabelle Coutant
Examinateurs / Examinatrices : Gilles Chantraine, Elise Lemercier, Nicolas Sallée
Rapporteur / Rapporteuse : Isabelle Coutant, Gilles Chantraine

Résumé

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Suivant un double regard, socio-historique et monographique, cette thèse analyse les processus de catégorisation des mineurs enfermés que (re)produisent les professionnels de justice, depuis deux siècles, en France. L'étude des mécanismes de racialisation des justiciables, notamment avec l'emploi des théories de la dégénérescence, sera l'occasion d'interroger les effets des (di)visions raciales sur le développement de la chaîne pénale et les trajectoires différenciées des jeunes, dans et entre les dispositifs, aujourd'hui comme hier.Dans une première partie d'ordre socio-historique, cette recherche met en lumière les classifications des mineurs dits « sous main de justice » fondées sur la race qui émanent de l'histoire de leur enfermement, autant qu'elles en structurent l'évolution. Le rôle prépondérant joué par les assignations racialisantes dans la justification de l'extension et du durcissement de la chaîne pénale invite à considérer leur imbrication avec d'autres rapports sociaux basés sur l'âge, la classe, le genre, la sexualité, la nationalité, la religion, le territoire de résidence et la santé, qu'elle soit physique et/ou mentale. Il s'agit ainsi de saisir les soubassements de la diffraction qui s'opère, depuis le XIXe siècle, entre les éléments assimilables au corps national et les éléments qualifiés de pathogènes, dont il faut éviter la contamination et la prolifération, au nom de la préservation physique et morale des êtres sains, dans les espaces publics puis éducatifs. À partir d'une réflexion sur ces logiques prophylactiques, justifiées par des savoirs scientifiques au service d'objectifs politiques, je propose un regard sur la genèse et l'actualité des lieux d'enfermement pour mineurs, voulus comme porteurs et symboles de progrès, tandis que leurs échecs récurrents demeurent attribués à la sauvagerie d'une partie de leur public, laquelle légitime en retour l'usage de techniques disciplinaires désuètes.Une seconde partie d'ordre monographique, à partir d'une immersion en Centre éducatif fermé (CEF), jour et nuit, sonde l'impact de l'intervention quotidienne des acteurs de justice sur les carrières disciplinaires des jeunes au prisme des choix de recrutement, de la division du travail, du tri des mineurs et des pratiques d'encadrement différenciées. En combinant observations, analyses documentaires et entretiens semi-directifs menés avec les adolescents placés, les éducateurs et les cadres, cette enquête interroge les catégories territorACiales qui conditionnent les représentations, les pratiques et les positions des personnels en CEF. Cette approche par les expériences des publics visés est l'occasion d'examiner le lien entre les assignations territoriales qui euphémisent la racialisation, et l'action territoriale à l'encontre des mineurs menaçants qui aboutit au regroupement, à la mise à l'écart voire au renvoi des justiciables racisés de l'établissement vers la prison. Le point d'entrée par les classifications des professionnels prend d'autant plus de sens qu'il éclaire la limitation des marges de manœuvre des reclus, enjoints individuellement à être acteurs de leur réussite tout en étant constamment associés à des groupes porteurs de stigmates, bénéficiant plus ou moins de l'économie relationnelle et émotionnelle à l'œuvre dans le CEF, autrement dit de circonstances aggravantes ou atténuantes dans leur évaluation. L'ambiguïté du dispositif, entre discipline et auto-contrôle, est pensée au prisme de la lutte des places que se livrent les mineurs dans l'établissement et de ses conséquences sur leur parcours institutionnel au-delà de celui-ci.Ce dispositif méthodologique double permet in fine d'interroger les reconfigurations de la chaîne carcérale et de ses hiérarchies correctionnelles au regard des publics visés, tout en accédant, par le terrain, à la contrainte multidimensionnelle que subissent les reclus, à savoir une mobilité disciplinée qui est non seulement physique mais aussi sociale et symbolique.