Thèse soutenue

Le tabou de la virginité dans la Kabylie du XXIe siècle : naissance d'une mystique de l'hymen dans le cercueil de la domination masculine

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Auteur / Autrice : Zineb Fodil
Direction : Houriya AbdelouahedAzzedine Kinzi
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Recherches en psychanalyse et psychopathologie
Date : Soutenance le 15/12/2022
Etablissement(s) : Université Paris Cité
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Recherches en psychanalyse et psychopathologie (Paris ; 2001-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre de Recherches Psychanalyse, Médecine et Société (Paris ; 2001-....)
Jury : Président / Présidente : Mareike Wolf-Fédida
Examinateurs / Examinatrices : Mareike Wolf-Fédida, Zineb Ali-Benali, Jeannette Abou Nasr Daccache, Hassina Kherdouci
Rapporteurs / Rapporteuses : Zineb Ali-Benali, Jeannette Abou Nasr Daccache

Résumé

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Dans le creuset d'une expérience pratique, d'une durée de presque vingt ans, en qualité de psychologue clinicienne de la santé publique en Kabylie, j'ai été amenée a recueillir des plaintes, des récits de femmes gravitant autour de la perte de leur virginité ''défloration'', et des conséquences qu'elle avait entraînées. Première évidence : l'intrication du psychique et du social dans l'institution du tabou de la virginité dans la société kabyle, toujours située en référence à la domination masculine, devait être au centre de ma réflexion, qui, dès lors, ne pouvait éviter de marier psychanalyse et anthropologie, voire sociologie, d'où mes références nourries à Freud et à Bourdieu. Comment la clinique rend-elle compte des représentations sociales et de leur destin psychique dans leur rapport subjectif à l'intime ? Quels sont les mécanismes à l'œuvre dans la perpétuation de l'ordre androcentrique d'une génération à l'autre, et quelles sont les possibilités de changement ? Comment faire le lien entre invariants psychiques liés aux fantasmes originaires et les variations socio-historiques ? En m'appuyant sur ma pratique clinique, il m'est apparu que l'investissement de la virginité sur le mode d'un « avoir phallique », dont la perte pouvait s'avérer narcissiquement destructrice, trouvait sa source dans un investissement libidinal de cet emblème du corps féminin par un socius porteur d'une série de représentations sur son sens, et régulant rituellement toute modification de son statut. L'idéalisation de la virginité, suivie de la fétichisation de l'hymen, font en effet de ce ''voile'' le garant d'une pureté éthique. Et comme le social est toujours là pour réguler la pulsion, ou si l'on veut le corps, tout particulièrement celui de la femme, ce dernier a toujours été considéré comme un objet social et socialisé, constamment vécu comme la propriété du groupe et de la collectivité, au point d'en faire l'objet par excellence de l'honneur de la famille. Une matière explosive en des temps de libération de la femme. Tel est, en peu de mots, l'objet de ma thèse. Ni féministe ni culturaliste mais, si je puis dire, heuristique. Clivées entre tradition et modernité, dans un contexte socio-historique marqué par un affrontement entre la liberté sexuelle promue par le monde occidental et la persistance en Kabylie des interdits, coutumiers et religieux régissant l'union des deux sexes, la dimension traumatique prise chez mes patientes par la perte de la virginité m'a paru devoir être envisagée comme une nouvelle forme d'hystérie ; comme un défi lancé à la dérégulation libidinale par l'invention d'un symptôme en attente d'une solution tierce, d'une solution, s'il en est une, qui soit en tout cas moins coûteuse que celle, de ''compromis''. En attente d'une délivrance incommensurable, ni au persistant (la tradition) ni à l'insistant d'aujourd'hui (l'amour liquide, selon la formule de Zigmunt Bauman). En attente aussi d'hommes qui ne s'agrippent pas sur les privilèges que leur confère la tradition, afin de cesser le feu d'une guerre qui fait de nos jours rage, à bas bruit, au prix de grandes souffrances de part et d'autre, entre les cultures du tabou et celles de l'abolition des tabous. Le déchiffrage de la plainte de femmes égarées dans un monde devenu incompréhensible et incontrôlable, a déporté ma recherche sur la ligne de partage de deux eaux : celle séparant le discours traditionnel, sur le tabou de la virginité et la suprématie masculine, de la légitime revendication de liberté des femmes, et celle reliant l'individuel et le collectif dans la naissance d'un symptôme sui generis.C'est pour toutes ces raisons que je me suis risquée à donner à ma thèse le sous-titre de «Naissance d'une mystique de la virginité dans le cercueil de la domination masculine» Dans l'intrication du psychique et du social dans le rapport de la femme kabyle à son intimité, cette thèse a l'espoir d'apporter la preuve de l'utilité du savoir, à l'instant de sa décantation.