Représenter la mort de l'Inca dans les Andes péruviennes : éléments d'anthropologie des performances festives et rituelles
Auteur / Autrice : | Flora Baudry |
Direction : | Valérie Robin Azevedo, César Itier |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Ethnologie |
Date : | Soutenance le 23/09/2022 |
Etablissement(s) : | Université Paris Cité |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Sciences des sociétés (Paris ; 2019-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Unité de recherche Migrations et Société. UMR 8245 (CNRS). UMR 205 (IRD) (Paris et Nice ; 2014-) |
Jury : | Président / Présidente : Christian Rinaudo |
Examinateurs / Examinatrices : Valérie Robin Azevedo, César Itier, Christian Rinaudo, Marlène Albert-Llorca, Carmen Salazar-Soler, Zoila S. Mendoza | |
Rapporteur / Rapporteuse : Marlène Albert-Llorca, Carmen Salazar-Soler |
Résumé
Chaque année, dans les Andes centrales au Pérou, les habitant·es de nombreuses localités représentent la mort de l'Inca à l'occasion de la fête patronale du village. À travers des chants et des danses en costumes, et parfois de façon plus théâtralisée à partir d'un scénario bilingue quechua-espagnol, l'arrivée des conquistadors espagnols dans le nord de l'actuel Pérou au XVIe siècle, la capture et l'exécution de l'empereur inca Atahualpa sont mises en scène. Les premiers travaux menés sur ces représentations estiment qu'elles sont d'origine indigène, surgies dès les premières années de la colonisation, et qu'elles constituent aujourd'hui la résurgence d'un traumatisme multiséculaire, qui exprimerait cycliquement la « vision des vaincus ». Plus récemment, des recherches ethno-historiques et philologiques ont mis en évidence leur caractère syncrétique et leur origine plus tardive, à partir de la fin du XVIIe siècle. Dans cette perspective, il s'agit ici d'envisager ces pratiques en tant que performances, c'est-à-dire des pratiques corporelles qui ont une portée performative et qui constituent des ressources par lesquelles les populations concernées s'adaptent et répondent aux situations et aux bouleversements auxquels elles font face dans le présent. Cette thèse se propose donc de porter un regard anthropologique sur ces pratiques festives, afin d'offrir un éclairage complémentaire aux travaux philologiques et ethno-historiques déjà réalisés. J'ai pour cela mené une ethnographie multisituée d'une quinzaine de mois entre 2016 et 2019 dans trois localités de la province andine de Cajatambo (département de Lima) ainsi qu'auprès de sa diaspora installée dans la capitale péruvienne. Ces trois villages présentent des contextes variés de par leurs histoires respectives, notamment face au conflit armé interne des années 1980-1990 qui a touché différemment ces lieux, et en raison de leur organisation socio-économique, sous forme de communauté paysanne (comunidad campesina) ou pas. De ce fait, chaque village est confronté à des enjeux économiques, socio-ethniques, démographiques et linguistiques spécifiques et les pratiques festives, pourtant proches au sein de cet ensemble régional, reflètent ces configurations locales et s'y adaptent. Au niveau des usages sociaux du passé, l'analyse comparative des histoires racontées dans chaque lieu, en partie sur un mode burlesque et ludique, permet de s'interroger sur la façon dont s'élaborent des mémoires culturelles locales à travers la réappropriation d'un événement historique. Ces représentations s'articulent étroitement aux fêtes catholiques dans lesquelles elles s'insèrent, mettant aussi en jeu la relation particulière du groupe avec sa sainte patronne. Au niveau de la performance corporelle, ces pratiques sont envisagées comme des supports par lesquels les groupes se constituent, s'affirment et se mettent en relation, de l'échelle micro-locale jusqu'au niveau national. La danse, en tant qu'expérience kinesthésique, émotionnelle et sensorielle, met en jeu des processus d'auto-identification et d'hétéro-désignation, notamment sur le plan ethnique. Enfin, au niveau de l'organisation de la fête, les pratiques festives jouent un rôle central dans la cohésion du groupe. La fête s'inscrit dans le cadre spatio-temporel du village tout en le renouvelant. Elle est également l'arène d'intenses circulations de biens ainsi que de pratiques de réciprocité qui tissent un réseau dense d'interrelations en engageant, à court et à plus long termes, les individus, entre eux, mais aussi avec leur sainte patronne.