Glorifier les morts ou consacrer les vivants : une histoire esthétique et politique du cinéma algérien sous l'ère Bouteflika (2003-2019)

Glorify the dead or consecrate the living : An aesthetic and political history of Algerian cinema under the Bouteflika era (2003-2019)

• Auteur / Autrice : Salima Tenfiche
• Direction : Jacqueline Nacache
• Type : Thèse de doctorat
• Discipline(s) : Histoire et sémiologie du texte et de l'image
• Date : Soutenance le 10/11/2022
• Etablissement(s) : Université Paris Cité
• Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Langue, littérature, image, civilisations et sciences humaines (domaines francophone et anglophone) (Paris ; 1992-....)
• Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre d'étude et de recherche interdisciplinaire de l'UFR LAC (Paris ; 2009-....)
• Jury : Président / Présidente : Sébastien Denis
• Jury : Examinateurs / Examinatrices : Sébastien Denis, Pierre Beylot, José Moure, Patricia Caillé
• Jury : Rapporteurs / Rapporteuses : Pierre Beylot, José Moure

Mots clés

Mots clés contrôlés

Algérie -- 1992-....

Coproduction (audiovisuel)

Films historiques

Cinéma et politique

Cinéma et guerre

Algérie

Films de propagande

Mots clés libres

Cinéma algérien

Cinéma de propagande

Cinéma et politique

Cinémas du Maghreb

Guerre civile algérienne

Films de guerre

Cinéma moudjahid

Cinéma djidid

Cinéma algérien contemporain

Régime autoritaire

Algerian cinema

Propaganda cinema

Cinema and politics

Maghreb cinemas

Algerian civil war

War movies

Freedom fighter cinema

Cinéma djidid

Contemporary Algerian cinema

Résumé

Après avoir obtenu ses lettres de noblesse en 1975 lorsque Chronique des années de braise (Mohammed Lakhdar-Hamina) remportait la première Palme d'or du Festival de Cannes jamais décernée à un film africain ou arabe jusqu'alors, la jeune cinématographie nationale algérienne sombre lentement dans l'oubli avec la guerre civile qui plonge le pays dans le chaos durant les années 1990. À partir de 2003, le retour à la paix et la bonne santé économique du pays permettent une timide relance de l'activité cinématographique. Deux cinémas algériens antagonistes voient alors le jour. D'un côté, un cinéma de propagande financé par l'État que nous avons nommé « cinéma chahid » (cinéma martyr) parce qu'il se compose de films de guerre à la gloire des héros nationaux de la résistance contre le colonialisme morts pour la patrie. De l'autre, des co-productions avec l'étranger ancrées dans le présent et dans le quotidien morne et étouffant des Algériens et des Algériennes du commun, qui circulent dans les festivals internationaux les plus prestigieux du monde mais qui ne sont ni soutenues ni diffusées dans leur propre pays, et que nous proposons d'appeler « cinéma aïchin » (cinéma des vivants). Notre thèse se veut une contribution à l'écriture de l'histoire du cinéma algérien, et en particulier du cinéma contemporain, un terrain de recherche qui reste encore à défricher. En croisant différentes approches du cinéma (institutionnelle, sociologique, narrative et esthétique), nous proposons de mettre en regard ces deux cinémas algériens contemporains. Selon une approche synchronique d'abord, nous retraçons la généalogie de ces deux courants antagonistes. En revenant sur les grandes étapes du développement du cinéma en Algérie de la période coloniale à nos jours, tant sur le plan industriel que sur celui des formes, nous souhaitons mettre en exergue d'une part la filiation du cinéma chahid avec le cinéma moudjahid (cinéma combattant) de la période socialiste (1962-1984), et d'autre part la filiation du cinéma aïchin avec le cinéma de résistance clandestin des maquis de la Guerre d'Indépendance (1954-1962) pour ses conditions internationales de production et de diffusion, mais aussi avec celui de l'avant-garde des années 1970 (Zinet, Allouache, Djebar et Beloufa) pour ses innovations formelles et narratives. Selon une approche synchronique ensuite, et à partir d'enquêtes de terrain réalisées entre 2016 et 2019, nous dressons un état des lieux actuel des conditions de production et de distribution (financements, censure, rareté des salles ouvertes au public, rôle des festivals, piratage), afin de mettre en évidence la dichotomie du cinéma algérien sous le régime d'Abdelaziz Bouteflika depuis la relance de l'activité jusqu'au déclenchement du Hirak (2003-2019). Parallèlement à cet état des lieux, l'analyse esthétique et politique du cinéma chahid nous permet de montrer que ces films de propagande relèvent autant d'une stratégie de légitimation du pouvoir après la guerre civile (1992-2002) que d'une adaptation du discours officiel aux mutations de la société algérienne. Les films du cinéma aïchin quant à eux se distinguent par un renouvellement des récits et des formes du cinéma algérien. Cette nouvelle génération de cinéastes propose des images plurielles d'une société algérienne déchirée et désabusée par l'échec des espérances de l'Indépendance autant que par les violences fratricides de la guerre civile, contribuant ainsi à un processus de démystification vis-à-vis de l'image officielle d'une Algérie glorieuse et unie.

After obtaining its letters of nobility in 1975 when Chronicle of the Years of Fire (Mohammed Lakhdar-Hamina) won the first Palme d'or at the Cannes Festival ever awarded to an African or Arab film until then, the young national Algerian cinematography slowly sank into oblivion with the civil war that plunged the country into chaos during the 1990s. From 2003, the return to peace and the country's economic prosperity allowed a timid revival of cinematographic activity. Two antagonistic Algerian cinemas then emerge. On the one hand, a state-sponsored propaganda cinema which we have named ''cinéma chahid'' (martyr cinema) because it consists of war films glorifying the national heroes of the resistance against colonialism who died for the homeland. On the other hand, co-productions with foreign countries anchored in the present and in the dreary and suffocating daily life of ordinary Algerians, which circulate in the most prestigious international festivals in the world but which are neither supported nor broadcast in their own country, and which we propose to call ''cinéma aïchin'' (cinema of the living). Our thesis aims to be a contribution to the writing of the history of Algerian cinema, and in particular of contemporary cinema, a field of research that remains to be explored. By crossing different approaches (institutional, sociological, narrative and aesthetic), we propose to compare these two contemporary Algerian cinemas. Using a synchronic approach first, we retrace the genealogy of these two antagonistic currents. Looking back at the main stages of the development of cinema in Algeria from the colonial period to the present day, both industrially and in terms of forms, we wish to highlight on the one hand the filiation of ''cinéma chahid'' with the ''cinéma moudjahid'' (freedom fighter cinema) of the socialist period (1962-1984), and on the other hand the filiation of the ''cinéma aïchin'' with the underground resistance cinema of the maquis during the War for Independence (1954-1962) for its international conditions of production and distribution, but also with the avant-garde of the 1970s (Zinet, Allouache, Djebar and Beloufa) for its formal and narrative innovations. Following a synchronic approach then, and based on field surveys carried out between 2016 and 2019, we draw up a current inventory of production and distribution conditions (funding, censorship, scarcity of theaters open to the public, role of festivals, blackmarket), in order to highlight the dichotomy of Algerian cinema under the regime of Abdelaziz Bouteflika since the revival of activity until the Hirak protests (2003-2019). Beside this inventory, the aesthetic and political analysis of ''cinéma chahid'' allows us to show that these propaganda films are both a strategy of legitimizing the regime after the civil war (1992-2002) and an adaptation of official discourse to the changes in Algerian society. As for the films of the ''cinéma aïchin'', they are distinguished by a renewal of the stories and forms of Algerian cinema. This new generation of filmmakers offers plural images of an Algerian society torn and disillusioned by the failure of the hopes of Independence as much as by the fratricidal violence of the civil war, thus contributing to a process of demystification from the official image of a glorious and united Algeria.