La musique andalouse marocaine al-Âla : approche anthropo-historique, transformations et identité culturelle
Auteur / Autrice : | Yassir Bousselam |
Direction : | Jean Lambert |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Ethnomusicologie |
Date : | Soutenance le 26/09/2022 |
Etablissement(s) : | Paris 10 |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Espaces, Temps, Cultures (Nanterre, Hauts-de-Seine ; 2000-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative (Nanterre ; 1967-...) |
Jury : | Président / Présidente : Isabelle Rivoal |
Examinateurs / Examinatrices : Jean Lambert, Isabelle Rivoal, Mohamed Metalsi, Olivier Tourny, Sabine Trebinjac |
Résumé
Dans cette thèse, je tente de resituer la tradition de la Âla ou « musique andalouse marocaine » dans son contexte historique, du moins celui de l’histoire du Maroc au XXe siècle. Cette première approche diachronique nous conduira à une réflexion ethnomusicologique plus large, combinant intimement la musicologie et l'anthropologie. Le répertoire musical prestigieux de la Âla, qui s'est développé à l'ombre des pouvoirs politiques successifs et dans la continuité historique des grandes villes du nord du Maroc s'est ancré dans les pratiques sociales et la vie quotidienne (mariages, chant religieux, musique militaire). Il est constitué de formes traditionnelles raffinées : poésie chantée conservée sous forme de manuscrits, suites musicales constituées de la nouba et d'autres formes du répertoire, théorie musicale des modes, tubû', instruments de musique traditionnels spécifiques. Dès le début du XXe siècle, nous disposons d'archives sonores abondantes, mais qui étaient encore mal connues : disques commerciaux Pathé (1910-1940), puis enregistrements d'un ensemble de la Âla au Congrès du Caire en 1932 qui sont des témoignages musicologiques historiques importants. De même, grâce aux politiques culturelle et musicales mandataires de la France et de l'Espagne (les « arts indigènes »), la musique marocaine a fait l'objet des premières études musicologiques orientalistes, mais aussi de chercheurs marocains, qui se sont affirmées lors du Congrès de musique marocaine de Fès en 1939. Après la Seconde Guerre mondiale et surtout à partir de l'Indépendance du Maroc en 1956, nous assistons à une évolution générale de la pratique de la Âla, des conceptions des musiciens d’aujourd’hui et plus généralement encore, de la place de la Âla dans la société marocaine, principalement dans le sens d'une acculturation sous l'influence de la modernité. La question de la transmission, selon la tradition orale ou au moyen des nouveaux outils que sont la transcription musicale et l'enregistrement soulève des débats récurrents entre la modernité et la fidélité à la tradition, mettant en exergue le concept d’authenticité, et la promotion de différentes expériences de préservation, patrimonialisation et classicisation de la musique andalouse. Parallèlement, je m'attache à faire une description empirique de la performance de la musique andalouse marocaine sous ses formes actuelles, au plus près des relations entre les textes chantés et les mélodies dans la suite, et notamment leur élément de base, la san'a. Enfin, confrontant cette description phénoménologique à de nombreuses représentations narratives entourant la musique andalouse au Maroc, je relève une forte tension qui ne peut que soulever un questionnement anthropologique. Les thèmes de l'Âge d'Or perdu de l'Andalousie musulmane et l'idée très prégnante de la décadence du répertoire (d'ailleurs relayées par la musicologie coloniale) présentent en eux-mêmes une contradiction flagrante avec l'état actuel du répertoire, qui semble plutôt témoigner de l'expansion de son volume. En prenant en compte d'une part la fonction qu'a eu ce répertoire musical depuis fort longtemps de représenter le pouvoir politique et d'autre part le fait qu'il exemplifie la culture la plus valorisée des élites sociales marocaines, la culture andalouse, je fais le constat qu'il est chargé d'une forte dimension imaginaire et d'émotion collective. Je m'interroge sur cet engouement pour la musique andalouse, et la contribution de cette dernière, en tant que symbole vivant, à la construction d'une identité collective, celle du Maroc comme communauté politique moderne.