Thèse soutenue

Des récits de la colonisation : Ethnogenèse, tradition orale et nationalisme chez les Napo Runa d'Amazonie équatorienne

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Auteur / Autrice : Arthur Cognet
Direction : Dejan Dimitrijević
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sociologie et anthropologie
Date : Soutenance le 25/05/2022
Etablissement(s) : Lyon
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sciences sociales (Lyon ; 2007-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Laboratoire d'anthropologie des enjeux contemporains - laboratoire d'anthropologie des enjeux contemporains
établissement opérateur d'inscription : Université Lumière (Lyon ; 1969-....)
Jury : Président / Présidente : César Itier
Examinateurs / Examinatrices : Véronique Boyer-Araújo, Cédric Yvinec
Rapporteurs / Rapporteuses : César Itier, Carmen Salazar-Soler

Résumé

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Ma thèse est le résultat de 17 mois de recherches de terrain effectuées entre 2014 et 2022 (master et doctorat) auprès des Napo Runa d’Amazonie équatorienne (groupe indigène quechuaphone), dans les provinces de Napo (cantons d’Archidona et de Tena), Orellana (canton de Loreto, de Coca et de la Joya de los Sachas) et Sucumbíos (canton de Lago Agrio et de Shushufindi). Elle traite de l’ethnogenèse des Napo Runa durant la période coloniale, des visions napo runa de cette ethnogenèse et des relations coloniales véhiculées par la tradition orale ainsi que de la production récente, par les Napo Runa, d’un discours historique nationaliste, centré sur des événements liés à la situation coloniale. Pour rendre compte de ces trois thèmes de recherches, j’emploie une pluralité de méthodes allant de l’ethnohistoire traditionnelle à l’ethnographie expérientielle. La dimension linguistique est également importante dans mon travail puisque ma thèse comporte de nombreuses transcriptions-traductions de récits historiques qui me furent racontés en quechua amazonien.Dans une première partie, je rends compte de l’ethnogenèse des Napo Runa à travers une épistémologie anthropologique et historique occidentale, sur la base de documents historiques publiés et inédits, produits par des acteurs coloniaux entre le 16e et la première moitié du 20e siècle. Ce processus d’ethnogenèse a déjà été pointé par certains ethnologues (Taylor, 1994, 1999 ; Uzendoski, 2010 ; Reeve, 2002 ; Muratorio, 1998 ; Hudelson, 1987), mais n’a, pour le moment, pas été traité en détail. Je montre que, selon les documents historiques, il n’est pas possible d’établir une filiation culturelle unilinéaire entre les Napo Runa actuels et les Quijos précolombiens (une thèse qui a pourtant été soutenue par plusieurs universitaires et également par des intellectuels de la région amazonienne). Au contraire, selon mes recherches, l’ethnogenèse des Napo Runa est survenue après la conquête espagnole de la région du Haut-Napo qui entraina la dislocation des structures sociales indigènes précolombiennes et une forte chute démographique. Entre le 16e et le 18e siècle, les encomenderos et les missionnaires jésuites du Haut-Napo capturèrent ou firent venir de nombreux indigènes provenant des régions périphériques afin de les incorporer dans les encomiendas ou de s’en servir d’« indiens amis » assistant le projet d’évangélisation. Ce mouvement centripète vers la région du Haut-Napo entraina une forte concentration de population qui vécut un processus d’homogénéisation culturelle (alors que les archives produites par les conquistadores entre 1538 et 1600 indiquent la présence de plusieurs groupes culturellement et linguistiquement différents dans cette région). En effet, dès la fin du 18e siècle et du début du 19e siècle, de nombreuses descriptions ethnographiques mentionnent, dans la région du Haut-Napo, un important groupe indigène qui possède les caractéristiques particulières de la culture des Napo Runa actuels qui les distinguent des autres groupes indigènes voisins : langue quechua, christianisme, port des habits, consommation de sel, monogamie, absence de mariage entre cousins croisés, absence de guerre inter ou intra-tribale. Ces éléments culturels acquis aux côtés des colons espagnols et des jésuites vont permettre aux acteurs coloniaux de différencier les Napo Runa qu’ils considèrent comme « dociles », « semi-chrétiens » et « semi-civilisés » des autres groupes indigènes considérés comme « sauvages », « infidèles » et « féroces ». En raison de cette « qualité » d’« indiens dociles » et « semi-chrétiens », les Napo Runa ont été insérés dans des relations serviles (notamment de travail contre dette) avec les « blancs » de la région (autorités politiques, patrons, missionnaires) jusqu’aux années 1960. Ces intenses interactions coloniales ont marqué durablement la culture des Napo Runa qui en garde les traces encore aujourd’hui.