Thèse soutenue

Le goût de l’État en Amazonie péruvienne : ethnographie comparative d’un programme national d’alimentation scolaire entre les Maijuna et les Napuruna

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Auteur / Autrice : Emmanuelle Ricaud Oneto
Direction : Irène Bellier
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Anthropologie sociale et ethnologie
Date : Soutenance le 16/12/2022
Etablissement(s) : Paris, EHESS
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales
Jury : Président / Présidente : Alexandre Surrallés
Examinateurs / Examinatrices : Alexandre Surrallés, Philippe Erikson, Anath Ariel de Vidas, Esther Katz, Christine Tichit
Rapporteurs / Rapporteuses : Philippe Erikson, Laura Rival

Résumé

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Cette thèse porte sur la réception d’un programme national d’alimentation scolaire, Qaliwarma au Pérou, dans deux sociétés amérindiennes voisines du nord-ouest de l’Amazonie : Maijuna, un groupe tukano occidental et Napuruna ou Kichwa de la rivière Napo. Les deux groupes diffèrent par leurs systèmes alimentaires et leurs rapports contrastés avec l’État et la société régionale dite métisse (non-amérindienne). À partir d’une enquête ethnographique de plus d’un an, je compare la manière dont ils acceptent, s’approprient, critiquent, négocient et/ou résistent à cette aide alimentaire qui, en Amazonie, consiste à distribuer des aliments industriels issus de l’agrobusiness. Tandis que la littérature anthropologique a souligné des formes d’appropriation ou bien des résistances de la part de groupes amérindiens en Amazonie face à des initiatives extérieures, l’analyse met en évidence une coexistence singulière des deux processus étudiés. Si les Maijuna et les Napuruna ont en commun une appropriation du programme pour que leurs enfants apprennent à « devenir métis » à l’école, ils se distinguent entre eux à l’heure de mobiliser les registres de négociation, voire de résistance. Cette recherche analyse la manière dont l’alimentation scolaire joue un rôle central dans les attentes des groupes vis-à-vis de l’école, passerelle entre eux et les métis. Elle décrit comment les repas scolaires constituent un espace complexe de négociation, qui implique en particulier des mères qui les cuisinent et des enfants qui les consomment. Enfin, la thèse examine les critiques et les résistances propres à chaque groupe. Les Maijuna - les mères en particulier - font circuler des rumeurs qui présentent leurs enfants comme les proies potentielles de l’État péruvien, décrit comme cannibale. Elles reflètent ainsi la centralité du schème relationnel de prédation dans ce groupe et une infrapolitique vis-à-vis du programme, et plus largement de l’État. Les Napuruna critiquent l’aide parce qu’elle instille selon eux une perte d’autonomie de leurs enfants et affaiblit leurs corps, deux points centraux de leur modèle de construction de la personne. En somme, l’ethnographie contextualisée de la thèse, à la croisée de l’anthropologie de l’alimentation, du développement et du corps, contribue à une saisie renouvelée de l’hétérogénéité des modalités de réception et des effets transformateurs d’une aide alimentaire en Amazonie.