Le moment conservateur du néolibéralisme : famille, communauté, tradition entre Europe et Amériques
Auteur / Autrice : | Matilde Ciolli |
Direction : | Paolo Di Napoli, Michele Spanò, Mauro Simonazzi |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Etudes politiques |
Date : | Soutenance le 30/09/2022 |
Etablissement(s) : | Paris, EHESS en cotutelle avec Università degli studi (Milan, Italie) |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales |
Jury : | Président / Présidente : Judith Revel |
Examinateurs / Examinatrices : Paolo Di Napoli, Michele Spanò, Mauro Simonazzi, Judith Revel, Manuela Ceretta, Gabriella Silvestrini | |
Rapporteurs / Rapporteuses : Maria Laura Lanzillo, Verónica Gago |
Mots clés
Mots clés contrôlés
Mots clés libres
Résumé
L'hypothèse avancée par cette recherche est qu'une tension conservatrice existe au sein du néolibéralisme, permettant de le lire non pas simplement comme une théorie économique, mais comme une doctrine politique. Cette thèse identifie un «moment» conservateur du néolibéralisme, c'est-à-dire un noyau conceptuel qui, selon les contextes historiques et géographiques, théorise la société comme un ordre hiérarchique, institutionnalisé à travers des structures telles que la famille, la communauté et la tradition. Ce travail étudie comment, historiquement, le néolibéralisme est né de la nécessité de défendre l'ordre du marché contre les exigences collectivistes du socialisme et contre les demandes des mouvements sociaux qui menaçaient sa stabilité. Dans ce conflit théorico-politique, l'appareil conceptuel conservateur est devenu l'instrument de réaffirmation des hiérarchies fonctionnelles à la valorisation du capital et au gouvernement de la liberté individuelle. L'hypothèse de ce travail est examinée à travers une perspective globale, qui étudie d'abord la genèse européenne et ensuite la transmission transatlantique du néolibéralisme. La première partie se concentre sur l'Europe entre les années 1930 et la fin des années 1950, et spécifiquement sur l'Allemagne, l'Autriche et l'Angleterre, où les doctrines néolibérales ont émergé en réponse à la crise des années 1930, à la montée de la société de masse et à la diffusion de modèles étatiques interventionnistes. Le premier chapitre est consacré au radicalisme conservateur de Wilhelm Röpke (1899-1966), qui a théorisé la nécessité d'un marché légalement réglementé et d'institutions telles que la famille et la communauté comme instruments pour garantir l'obéissance des individus à un ordre social menacé, rétablissant ainsi l'équilibre de l'économie de marché. Le deuxième chapitre étudie le néolibéralisme conservateur de Friedrich A. Von Hayek (1899-1992), qui a défini une constitution de la liberté fondée sur l'ordre du marché et légitimée par l'autorité de la tradition. Les écrits de Hayek sont donc essentiels pour cette recherche, car ils ont engagé une «bataille d'idées» contre le socialisme en utilisant les outils conceptuels du conservatisme pour affirmer la validité de l'ordre du marché. La pertinence de Röpke et de Hayek ne tient pas seulement à leur centralité dans l'élaboration de la doctrine néolibérale, mais aussi à leur rôle dans la diffusion transatlantique du noyau conservateur du néolibéralisme. En suivant les traces de Hayek aux États-Unis et des deux en Argentine, le moment conservateur du néolibéralisme est étudié entre les années 1950 et 1980, d'abord aux États-Unis et ensuite en Argentine. Le troisième chapitre se focalise sur le néoconservatisme d'Irving Kristol (1920-2009) qui, face aux mouvements sociaux et la Great Society, pose le problème de la restauration de la tradition libérale et de la légitimation de l'ordre du marché. Tout en enregistrant les différences entre néolibéraux et néoconservateurs, il est mis en évidence une identification commune, bien que non homogène, des institutions sociales conservatrices comme nécessaires à la réaffirmation des hiérarchies indispensables au fonctionnement de l'ordre marchand. Enfin, le quatrième chapitre est consacré aux écrits d'Álvaro Alsogaray (1913-2005), José Alfredo Martínez de Hoz (1925-2013) et Ricardo Zinn (1926-1995), à travers lesquels est analysé la rencontre théorique et institutionnelle entre le néolibéralisme européenne et le régime dictatorial argentin. Ces auteurs ont reconnu le néolibéralisme comme le seul paradigme admissible pour s'opposer aux modèles politiques collectivistes et la dictature comme un instrument valide pour imposer l'ordre du marché. Le cas argentin est donc central pour l'analyse du moment conservateur du néolibéralisme car il a porté à sa limite extrême la contradiction constitutive entre la liberté promise par le marché et sa limitation par des structures sociétales conservatrices.