Entre les mondes : socio-histoire des modes de participation des réalisateurs d’origine étrangère à l’espace cinématographique (France et Allemagne, 1980-2020)
Auteur / Autrice : | Claire Tomasella |
Direction : | Gérard Noiriel |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Histoire et civilisations |
Date : | Soutenance le 07/07/2022 |
Etablissement(s) : | Paris, EHESS |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales |
Jury : | Président / Présidente : Laure de Verdalle |
Examinateurs / Examinatrices : Laure de Verdalle, Stéphane Beaud, Julien Duval, Tristan Mattelart, Aurélie Pinto, Nikola Tietze |
Résumé
À travers l’examen des modes de participation des réalisateurs d’origine étrangère à la sphère cinématographique en France et en Allemagne, des années 1980 aux années 2020, cette thèse engage une réflexion sur « l’inscription d’une liberté propre à l’intérieur de séries de déterminations qui, à la fois, la rendent possible et la bornent » (Chartier, Noiriel, 1994). La première partie de la thèse examine la manière dont le cinéma des réalisateurs d’origine étrangère est catégorisé et la manière dont ces catégories se transforment, afin de dévoiler les espaces de possibles et de contraintes qui se sont présentés à mes enquêtés. À cet effet, j’analyse, d’une part, le soutien de la France et l’Allemagne à la production d’un « cinéma monde » dans le cadre de dispositifs de promotion de la diversité culturelle, qui permettent à des metteurs en scène étrangers de réaliser des films d’auteur valorisés au sein du pôle artistique de l’espace cinématographique international (Chapitre 1). J’étudie, d’autre part, les étiquettes à caractère ethnique ayant cours dans la sphère cinématographique française et allemande, ainsi que les évolutions différenciées dans les deux pays de ces catégories renvoyant à un « cinéma de l’immigration » (Chapitre 2). Bien que se déployant à des échelons distincts de la hiérarchie cinématographique, ces catégories et mécanismes institutionnels, par lesquels les réalisateurs sont considérés au prisme de leurs origines nationales ou migratoires, les placent « entre les mondes », c’est-à-dire à la frontière des espaces socio-politique et culturel. Cette position rend ambivalents dans le temps les effets de ces catégories sur les parcours et les œuvres, entre opportunités de carrière et assignation à une identité extra-artistique.Dans une seconde partie, j’analyse les étapes dans les trajectoires sociales et professionnelles des cinéastes, afin d’appréhender la pluralité des univers sociaux et culturels que ces derniers ont traversés. L’étude des premières socialisations permet de distinguer deux profils de réalisateurs, qui n’ont pas disposé des mêmes ressources culturelles durant l’enfance et ne se sont pas confrontés au même faisceau de frontières lors de leur « conversion » au cinéma (Chapitre 3). Ces réalisateurs investissent l’espace cinématographique à des endroits distincts où ils forgent leurs modèles et contre-modèles et les significations dont ils dotent leur pratique (Chapitre 4). Dans un contexte de valorisation réversible des différences culturelles et d’emprise grandissante du champ économique sur celui du cinéma, la « survie » professionnelle est conditionnée par la capacité à s’ajuster à des opportunités de carrières déterminées à la fois par les propriétés sociales des cinéastes et les états successifs des cadres dans lesquels se déploient leurs parcours. L’analyse sur le temps long de plusieurs trajectoires de cinéastes d’origine étrangère permet de mettre au jour les dynamiques propres de leurs parcours professionnels, les différenciations de leurs modes de consécration et celles des formes des luttes symboliques qu’ils engagent (Chapitre 5). Les catégories de « cinéma monde » et celles renvoyant à un « cinéma de l’immigration » correspondent peut-être moins à des profils de cinéastes qu’à des étapes de trajectoires professionnelles, à l’acquisition de dispositions et à l’accumulation de capitaux, qui facilitent la mobilité « entre les mondes », c’est-à-dire le déplacement dans les espaces social et cinématographique. Cette enquête comparative et socio-historique s’appuie sur un travail prosopographique réalisé à partir d’entretiens semi-directifs, de sources documentaires et du recueil de données biographiques, sur l’étude de mécanismes institutionnels, ainsi que de la critique cinématographique.