Thèse soutenue

Les mondes cachés de la drogue. L'invisibilité des femmes insérées socialement

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Auteur / Autrice : Sarah Perrin
Direction : Emmanuel LangloisKarine Bertrand
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sociologie
Date : Soutenance le 17/10/2022
Etablissement(s) : Bordeaux
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sociétés, politique, santé publique (Bordeaux)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre Émile Durkheim - Science politique et sociologie comparatives (Pessac, Gironde)
Jury : Président / Présidente : Marion Paoletti
Examinateurs / Examinatrices : Jean-Michel Delile
Rapporteurs / Rapporteuses : Michel Kokoreff, Laurence Simmat-Durand

Résumé

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Les recherches scientifiques se sont essentiellement focalisées sur des usagers et vendeurs de drogues masculins et précaires. Les structures sociosanitaires dédiées aux consommateurs de substances psychoactives en France comme au Canada prennent en charge une majorité d’hommes en situation de grande marginalité. Les policiers qui répriment les ventes, possessions et usages sont concentrés sur une population masculine, racisée et précaire qui vit dans des zones urbaines ségréguées. Malgré la féminisation des consommations de drogues en cours depuis les années 1990 et en dépit du fait qu’une grande partie des usagers travaillent, étudient et aient un logement fixe, les femmes insérées socialement sont doublement invisibles dans les mondes de la drogue, du fait de leur genre et de leur statut social. Cette thèse analyse la manière dont des femmes insérées socialement agissent dans des mondes de la drogue (incluant les usages et reventes, les structures sociosanitaires, les dispositifs répressifs et les politiques publiques) formatés par et pour des hommes, à Bordeaux et à Montréal. L’objectif est de comprendre de manière intersectionnelle, interactionnelle et relationnelle l’influence du genre et de l’insertion sociale sur les trajectoires d’usagères-revendeuses, la comparaison franco-québécoise permettant de proposer des hypothèses explicatives et d’éviter les écueils universalistes et particularistes. Les résultats présentés se basent sur 108 entretiens réalisés avec des usagères-revendeuses et usagers-revendeurs insérés socialement ayant entre 20 et 35 ans, des professionnels sociosanitaires, des policiers et des acteurs et experts des politiques publiques liées aux drogues. La première partie de cette thèse porte sur les trajectoires des femmes insérées socialement dans le milieu des usages et reventes de drogues. Le genre comme l’insertion sociale produisent des vulnérabilités spécifiques, elles-mêmes génératrices de capacités d’agir et de résistances. Les femmes sont décrédibilisées et sexualisées, fréquemment victimes de tentatives d’escroquerie et de harcèlement sexuel, mais elles peuvent retourner le stigmate dont elles font l’objet pour en retirer des avantages et de l’empowerment. Les usagers insérés courent sans cesse le risque de voir leurs pratiques déviantes nuire à leurs études, leurs emplois ou leurs relations avec leurs familles, mais cette double vie les incite aussi à gérer leurs consommations et leur procure un sentiment de liberté et d’épanouissement. La deuxième partie aborde les liens entre genre, insertion sociale et prise en charge sociosanitaire des consommations de drogues. En décrivant la manière dont l’usage de drogues est devenu un problème de santé publique via l’épidémie du VIH, cette partie analyse le ciblage genré et social des structures de réduction des risques et des méfaits à Bordeaux et Montréal et les raisons qui poussent les usagères et usagers insérés socialement à ne pas consulter. La troisième partie s’intéresse à la répression des drogues, et à l’exclusion des femmes blanches et insérées dans la définition du problème de sécurité publique des drogues. Cette dernière partie met en lien les facteurs individuels et structurels qui orientent les activités policière et judiciaire, et la manière dont les usagères-revendeuses et usagers-revendeurs se réapproprient stratégiquement les critères des profilages pour limiter les risques répressifs, notamment à travers des performances de genre. In fine, cette thèse permet de conclure que même au sein de mondes sociaux déviants, les normes de genre sont ébranlées, remises en question et instrumentalisées.