Thèse soutenue

La figure hypermoderne du gymner

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Auteur / Autrice : Quentin Froment
Direction : Vincent de GaulejacNicole Aubert
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sociologie
Date : Soutenance le 08/12/2021
Etablissement(s) : Université Paris Cité
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sciences des sociétés (Paris ; 2019-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Laboratoire de changement social et politique (Paris ; 2014-...)
Jury : Président / Présidente : Fabienne Hanique
Examinateurs / Examinatrices : Vincent de Gaulejac, Nicole Aubert, Fabienne Hanique, Bénédicte Vidaillet, Teresa Cristina Carreteiro, Jean-Pierre Escriva
Rapporteur / Rapporteuse : Bénédicte Vidaillet, Teresa Cristina Carreteiro

Résumé

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Ce travail de thèse porte sur l'émergence et l'attrait pour les activités physiques d'entretien et de développement personnel, regroupées sous l'appellation « Gym » en référence à l'emploi du mot aux Etats-Unis : musculation, running, cycling, fitness, yoga, stretching, pilates, zumba, body-pump, body-attack, gym tonic, abdos-fessiers, body-sculpt, body-combat, step, bootcamp, cross-fit, bodybalance, aquabiking, aquafitness, notamment. L'angle choisi pour comprendre l'émergence de ce phénomène social ne suit pas le sens commun qui attribue généralement l'éclosion de ces pratiques à un besoin de sport face à la progression d'une société de plus en plus sédentaire. Au contraire, il fait le lien entre la progression du Gym et une époque marquée par une société de plus en plus active, que certains chercheurs comme Nicole Aubert (L'individu hypermoderne, 2006) ont qualifié d'hypermoderne. Dans une société sous l'emprise de l'imaginaire performatif, se laisser-aller, ne rien faire, devient insupportable et il convient d'adopter un style de vie actif, d'être motivé et de se mettre constamment en projet, pour s'améliorer et progresser. Dans cette figure hypermoderne, la réalisation de soi ne peut passer que par la progression de soi, se rendre chaque jour meilleur que la veille. Le gymner hypermoderne se retrouve prisonnier d'une situation paradoxale dans laquelle il ne peut devenir libre qu'en s'assujettissant au modèle performatif. Tant et si bien que même quand il cherche à se dégager de la performance, dans le monde professionnel notamment, qui ne fait plus sens pour lui, en critiquant les désastres humains (burn-out) et environnementaux engendrés, il ne se voit pas répéter ce modèle performatif dans sa vie personnelle alors qu'il pense construire son autonomie et sa liberté. C'est l'ensemble de son existence qui tombe sous l'emprise de l'optimisation, de l'efficacité et du rendement. L'individu hypermoderne est un Moderne avancé, dans le sens où il est pris entre un besoin d'autonomie, de se dégager de ce à quoi il est pris, de devenir sujet, et également pris dans une « expansion illimitée d'une pseudo-maîtrise pseudo-rationnelle » (Castoriadis, 1997), assujetti à la performance et à l'idéologie du progrès, ne pouvant devenir libre que par la production et le rendement. La pratique du Gym porte cet enchevêtrement entre un désir de liberté, d'affirmation de soi, de prendre sa vie en main, et un besoin de continuer à vivre dans l'imaginaire performatif, dans lequel règne l'efficacité et l'optimisation. Le modèle performatif est tenace et profond dans le sens où il vient faire office de défense face au vide engendré par la Modernité (remise en cause de Dieu, individu perçu comme créateur de ses propres lois), générant de fortes angoisses auparavant compensées par l'outil religieux. La performance vient cacher une fragilité de l'individu hypermoderne, qui cherche à s'échapper des angoisses et du risque de dépression. La performance est la partie ensoleillée d'un climat d'insécurité profond et de forte vulnérabilité. Le dégagement et le cheminement dans une réelle autonomie est possible à partir de la compréhension de l'emprise à cette figure hypermoderne. Il s'agit de travailler cliniquement avec le domaine de l'inconscient, comprendre les enjeux profonds sous-jacents, et sortir d'une approche comportementale qui ne fait que répéter le même modèle performatif sur une autre scène. En pensant devenir libre, en passant d'un état jugé passif à un état actif, le gymner hypermoderne ne fait que se réassujettir au même modèle dont il pense se dégager. Se laisser-aller, accepter de travailler ses angoisses et sa vulnérabilité, est un début de chemin dans un « devenir sujet », que j'ai expérimenté en tant que chercheur. Sans cette implication, cette thèse reste sous l'emprise de la figure hypermoderne et ne permet pas un travail de recherche objectif.