Penser la nature psychosomatique de l'homme dans l'Occident médiéval : une étude du discours médical sur le lien corps-âme au XIIe siècle
Auteur / Autrice : | Tamar Nadav |
Direction : | Maaike Van Der Lugt, Joseph Ziegler |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Histoire et civilisations |
Date : | Soutenance le 08/12/2021 |
Etablissement(s) : | Université Paris Cité en cotutelle avec University of Haifa |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Sciences des sociétés (Paris ; 2019-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Identités, cultures, territoires (Paris ; 1992-2024) |
Jury : | Président / Présidente : Aurélien Robert |
Examinateurs / Examinatrices : Maaike Van Der Lugt, Joseph Ziegler, Aurélien Robert, Laurence Moulinier, Naama Cohen-Hanegbi, Jonathan Rubin | |
Rapporteurs / Rapporteuses : Laurence Moulinier, Naama Cohen-Hanegbi |
Résumé
Cette étude veut faire la lumière sur un des moments clés de la structuration du discours savant sur la relation entre l'âme et le corps dans l'Occident médiéval, à savoir, l'élaboration d'une théorie détaillée et compréhensive de la nature psychosomatique de l'homme dans la médecine du XIIème siècle. Au coeur de la thèse se trouve un groupe de commentaires inédits sur un compendium galénique d'origine arabe rédigés par des médecins liés à la ville de Salerne dans le sud de l'Italie. Depuis le milieu du XXème siècle, ces commentaires sur l'Isagoge de Johannitius attirent l'attention des historiens en raison de leur haut niveau théorique et du rôle qu'ils jouèrent dans l'assimilation et la systématisation de la médecine gréco-arabe en Occident. Les médecins prenant part à cette nouvelle tradition médicale commentent l'Isagoge à l'aide d'autres textes médicaux traduits en latin à la fin du XIème siècle. Leurs commentaires dépassent cependant le domaine strictement médical. Les médecins salernitains s'appuient également sur une gamme impressionnante d'oeuvres philosophiques - d'Aristote à Augustin, en passant par Platon et Boèce -, témoignant ainsi de leur intérêt aigu pour la philosophie naturelle, pour la cosmologie, et pour la métaphysique. La relation corps-âme se situe au coeur de cette tradition scolastique en devenir. Encadrés par la notion galénique de ''pouvoirs'' (virtutes), qui considérait le cerveau comme le siège d'un pouvoir psychique (virtus animalis), le coeur comme le siège d'un pouvoir spirituel ou vital (virtus spiritualis/vitalis) et le foie comme le siège d'un pouvoir naturel (virtus naturalis), les médecins salernitains envisagent la psychophysiologie humaine à travers divers concepts. Certains de ces concepts, tels que les trois esprits, la chaleur vitale, les nerfs et les vaisseaux sanguins, relèvent du corps et appartiennent à la tradition médicale à proprement parler. D'autres proviennent du discours chrétien, platonicien ou boétien sur l'âme. Or, les historiens n'ont jusqu'ici que rarement considéré les médecins salernitains comme des acteurs à part entière du discours chrétien sur la relation corps-âme. Cette étude propose de les mettre en valeur en montrant comment la notion des trois virtutes conduit les médecins salernitains à développer un discours riche et savant sur la psychophysiologie humaine. Elle montre que ce discours se développe graduellement autour de la doctrine de la virtus spiritualis, considérée comme source du pouls et de la colère. Elle expose comment, durant la deuxième moitié du XIIème siècle, l'interprétation de la colère comme relevant du pouvoir spirituel s'élargit pour expliquer de façon détaillée et minutieuse une large gamme de phénomènes psychosomatiques ; elle suggère que ces phénomènes étaient devenus un terrain privilégié pour l'exploration des frontières de la médecine et des points de contact entre médecine, philosophie et théologie. Enfin elle examine l'hypothèse selon laquelle les médecins du sud de l'Italie connaissaient les écrits philosophiques et théologiques produits à la même époque dans les écoles du nord de la France. Ainsi, au delà de la question de la relation corps-âme et de ses expressions diverses au XIIème siècle, cette étude vise à approfondir notre connaissance des mécanismes qui ont forgé l'identité intellectuelle et professionnelle du médecin médiéval. Elle cherche à apporter une meilleure compréhension de la manière dont les savants médiévaux géraient certains conflits entre science et religion. Enfin, elle aspire à restituer un chaînon manquant de l'histoire multilingue et multiculturelle de la science de l'âme au Moyen Âge.