Thèse soutenue

Le náhuat fleurit, mais pas ici à Santo Domingo : Une sociolinguistique politique de la revitalisation de la langue náhuat (El Salvador, Amérique Centrale)

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Auteur / Autrice : Quentin Boitel
Direction : Cécile Canut
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sciences du langage
Date : Soutenance le 01/10/2021
Etablissement(s) : Université Paris Cité
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sciences du langage (Paris ; 2019-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre de recherches sur les liens sociaux (Paris ; 2002-....)
Jury : Président / Présidente : Isabelle Léglise
Examinateurs / Examinatrices : Cécile Canut, Isabelle Léglise, Ronan Calvez, Alexandre Duchêne, James Costa, Virginia Tilley
Rapporteur / Rapporteuse : Ronan Calvez, Alexandre Duchêne

Mots clés

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Résumé

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Cette thèse s'inscrit dans le champ des sciences du langage, et étudie les initiatives de revitalisation linguistique de la langue náhuat (ou ''pipil'') parlée au El Salvador (Amérique Centrale), selon une perspective située au carrefour de la sociolinguistique, de l'anthropologie linguistique et sémiotique nord-américaine et de la philosophie politique. Depuis les années 1990, le náhuat est devenu objet de discours en tant que ''langue en danger'', et fait l'objet de description linguistique, de standardisation et d'enseignement. Au tournant des années 2010, la revitalisation de la langue a commencé à susciter un enthousiasme populaire dans le pays, ce qui a rapidement conduit à son institutionnalisation : l'État salvadorien a adopté des politiques de ''reconnaissance'' des peuples autochtones, de patrimonialisation et d'enseignement de la langue náhuat, et plusieurs universités de la capitale ont commencé à proposer des formations diplômantes en náhuat. Selon la formule aujourd'hui bien connue, le náhuat ''fleurit'' de nouveau. Cependant, les conséquences politiques de cette institutionnalisation sont loin d'être évidentes : tandis que la population urbaine et métisse du pays s'enthousiasme pour la ''récupération'' de la langue, les personnes autochtones, supposées bénéficier au premier chef de la revitalisation, s'expriment de façon nuancée et souvent critique sur le sujet, pointant l'absence de reconnaissance réelle et de retombées économiques, se sentant instrumentalisées et marginalisées, ou soulignant le caractère extractiviste de la promotion du náhuat. Résultat d'une enquête ethnographique multi-située menée entre 2014 et 2019, cette thèse offre une importante contribution à l'étude des discours et des pratiques de revitalisation linguistique. En analysant les discours institutionnels, militants et autochtones, ce travail montre que la majorité des initiatives de revitalisation du náhuat participe en réalité du maintien d'un ordre social qui périphérise la population autochtone et perpétue les hiérarchies raciales héritées de la société coloniale. En analysant la matérialité sémiotique et langagière des discours de revitalisation, cette thèse montre comment la parole participe de la production des inégalités sociales, mais donne aussi lieu à des dispositifs de subjectivation qui remettent en cause cet ordre social inégalitaire. Ce qui est ainsi en jeu dans les initiatives de revitalisation, ce n'est donc pas tant le ''sauvetage d'une langue'' que la capacité politique de sujets parlants à tenir un discours dans un contexte où leur parole est perçue comme sans valeur. En analysant les ressorts de la subjectivation langagière, cette thèse débouche sur la proposition d'une sociolinguistique politique, qui articule l'étude critique des institutions qui établissent les ''politiques linguistiques'' et l'étude des dispositifs de subjectivation qui en subvertissent le caractère inégalitaire.