Conviction morale, polarisation politique et susceptibilité à la désinformation

Moral conviction, political polarisation, and susceptibility to misinformation

• Auteur / Autrice : Antoine Marie
• Direction : Jean Baratgin
• Type : Thèse de doctorat
• Discipline(s) : Sciences cognitives, psychologie, linguistique, philosophie de la pensée
• Date : Soutenance le 25/03/2021
• Etablissement(s) : Université Paris Cité
• Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Frontières de l'innovation en recherche et éducation (Paris ; 2006-....)
• Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Cognitions humaine et artificielle (Saint-Denis)
• Jury : Président / Présidente : Gloria Origgi
• Jury : Examinateurs / Examinatrices : Gloria Origgi, Hugo Mercier, Cathal O'Madagain, Brent Strickland, Sabine Guéraud, Gérald Bronner
• Jury : Rapporteur / Rapporteuse : Hugo Mercier, Cathal O'Madagain

Mots clés

Mots clés contrôlés

Aspect moral

Participation politique

Morale

Biais cognitifs

Désinformation

Mots clés libres

Désinformation

Biais cognitifs

Fausses croyances

Moralité

Politique

Misinformation

Cognitive bias

Misbeliefs

Morality

Politics

Résumé

Dans la vie publique, la prise de décision rationnelle doit être basée sur des évaluations précises des coûts et des bénéfices associés aux technologies et aux politiques -qu'il s'agisse des OGM, de l'énergie nucléaire civile, de l'implication de l'homme dans le réchauffement climatique ou du droit au port d'arme- faute de quoi nous risquons de passer à côté d'immenses opportunités. Malheureusement, l'esprit humain est le siège de biais cognitifs, dont beaucoup ont probablement évolué. Ces biais, qui interviennent tant au niveau du traitement de l'information que de sa transmission, rendent difficile pour les gens d'avoir des croyances relatives aux coûts et aux bénéfices des politiques qui soient correctes. Cette thèse explore quelques-uns des biais cognitifs contribuant à ce résultat, à travers 1 article théorique et 2 articles empiriques. ''The cognitive foundations of misinformation on science'' (Chapitre 2) s'appuie sur les recherches en évolution culturelle, en communication scientifique et en psychologie évolutionnaire pour examiner certains des principaux mécanismes à l'origine de fausses croyances répandues sur les questions scientifiques et technologiques. Entre autres biais, l'article met en avant le caractère reconstructeur de la communication humaine, et le rôle joué par les attentes de pertinence qui poussent les locuteurs à l'exagération ; le biais de confirmation et notre tendance à politiser les sujets factuels ; notre préférence pour l'homophilie ; notre susceptibilité aux informations menaçantes et à la pensée conspirationniste ; ou encore l'illusion de compréhension. ''Moral conviction predicts sharing preference for politically congruent headlines'' (Chapitre 3) explore, à travers 8 expériences, quel type d'information politique des participants américains décident de partager en ligne sur des sujets controversés tels que le contrôle des armes à feu ou l'avortement. Nous constatons que les participants préfèrent partager des articles dont le titre est politiquement congruent avec leurs attitudes politiques sur chaque sujet, et que cette préférence augmente avec l'importance morale du sujet en question -que les articles soient vrais ou faux (« fake news »). Nous observons également que cette préférence est peu influencée par des manipulations expérimentales de la composition politique de l'audience, du caractère anonyme ou non du compte utilisé, et de l'exposition ou non à un message mettant en garde contre les biais politiques. La vérité perçue d'un article, et son utilité pour les buts politiques du participant, figuraient parmi les principales raisons de le partager. Cette tendance à la communication sélective pourrait contribuer à accélérer les divergences de croyances entre sous-cultures politiques, rendant plus difficile pour la gauche et la droite de s'entendre sur des faits communs. Au travers de 5 expériences menées sur des participants français, ''Intentions matter a lot, and efficiency little, in folk judgments of policy decisions'' (Chapitre 4) montre que des citoyens ordinaires préfèrent des politiques altruistes mais peu efficaces et ayant un coût élevé à des politiques animées par des motivations égoïstes mais très efficaces et rentables. Ce résultat fut observé sur quatre thèmes distincts : protection de l'environnement, promotion de l'égalité de sexe, de l'autorité de la France dans le monde, et régulation de l'immigration. La préférence pour des politiques peu efficaces mais bien intentionnées semblait motivée par la combinaison d'une faible sensibilité aux différences d'efficacité exprimées sous forme numérique -une tendance amplifiée par le degré de conviction morale du participant -et d'une forte sensibilité aux intentions animant la personne mettant en oeuvre la politique. Ces travaux contribuent à dépeindre l'homme comme un animal paranoïaque et moralisateur, dont les instincts cognitifs ne le prédisposent guère au pragmatisme dans le domaine de l'action publique.

In the political arena, rational decision making should be based on accurate assessments of the costs and benefits associated with technologies and policies -from GMO foods to nuclear power to global warming and gun control- lest immense opportunities may be missed. However, human minds are home to many cognitive biases, many of which likely evolved by natural selection. Those biases distort information processing and transmission, standing in the way of people indexing their beliefs on the scientific consensus when it exists, and maintaining nuanced representations of complex issues when the evidence is equivocal. This thesis explores various cognitive biases contributing to this outcome through one theoretical and two empirical papers. ''The cognitive foundations of misinformation on science'' (Chapter 2) draws on extant research in cultural evolution, science communication, and evolutionary psychology to review some of the main psychological mechanisms involved in causing widespread misbeliefs on policy-relevant scientific and technological issues. Among other culprits, the article highlights the reconstructive character of human communication and the role played by expectations of relevance in exaggerating factual claims; the myside bias and our tendency to moralize and politicize factual topics; our preference for homophily; our susceptibility to threatening information and conspiratorial thinking; and the illusion of understanding. ''Moral conviction predicts sharing preference for politically congruent headlines'' (Chapter 3) explored, through 8 experiments, what type of political information US participants decide to share on simulated social media on controversial topics such as gun control or abortion. In analogy with our myside bias when processing information, we found that participants have a sharing preference for politically congruent news stories which increased with the moral importance of the issue -whether the news was true or false. We also found that this sharing preference was little swayed by manipulations of the audience composition, anonymousness of the account from which sharing is done, and exposition to an intervention message warning against political bias. Perceived accuracy and usefulness for one's political goals were among the main predictors of sharing. We suspect that a tendency to do selective communication may accelerate discrepancies in prior beliefs across political subcultures, undermining the ability of liberals and conservatives' partisans to find common ground on important policy issues. Across 5 experiments run on French subjects, ''Intentions matter a lot, and efficiency little, in folk judgments of policy decisions'' (Chapter 4) found that laypeople spontaneously prefer altruistically motivated policies that achieve little at a high cost over selfishly motivated but highly efficient and profitable policies. This preference appeared to be driven by a combination of low responsiveness to differences in efficiency expressed in numeric format- a tendency magnified by a participant's degree of moral conviction on the issue- and of high sensitivity to the intentions driving the person implementing the policy. Taken together, this work contributes to portray humans as a moralistic and paranoid species, wired for the righteous defense of political causes and moral principles more than for the pursuit of what may effectively promote collective welfare.