Transformer l’État par les communs numériques : Sociologie d'un mouvement réformateur entre droit, technologie et politique (1990-2020)
Auteur / Autrice : | Sébastien Shulz |
Direction : | Sylvain Parasie |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Sociologie |
Date : | Soutenance le 10/12/2021 |
Etablissement(s) : | Université Gustave Eiffel |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Organisations, marchés, institutions (Créteil ; 2010-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Laboratoire Interdisciplinaire Sciences Innovations Sociétés (Champs sur Marne ; 2015-....) - Laboratoire Interdisciplinaire Sciences- Innovations- Sociétés / LISIS |
Jury : | Président / Présidente : Dominique Cardon |
Examinateurs / Examinatrices : Sylvain Parasie, Fabienne Greffet, Philippe Bezes, Dominique Linhardt, Sophie Pène | |
Rapporteurs / Rapporteuses : Fabienne Greffet, Philippe Bezes |
Résumé
Depuis une trentaine d’années, le mouvement des communs numériques milite pour un renforcement du pouvoir d’agir citoyen via la mutualisation, l’égalité d’accès et l’autogouvernement de dispositifs numériques. Ce mouvement remet en cause les logiques du marché et de l’État dans l’administration de certaines ressources partagées et propose d’établir un troisième paradigme politique. Pourtant, chose étonnante, depuis une date que l’on peut situer autour de 2008-2009, des acteurs publics en appellent à des formes de commun numérique pour transformer l’État et des expérimentations sont à l’œuvre. La littérature semble divisée entre une lecture techno-optimiste qui avance que cette transformation va réellement entraîner un renforcement démocratique et une lecture critique qui postule que l’adoption de dispositifs numériques va être récupérée pour mettre en œuvre un projet d’État néolibéral. Le propos de cette thèse est d’explorer une voie intermédiaire en répondant à la problématique suivante. Pourquoi, comment et avec quels effets des acteurs publics investissent des formes de communs numériques, qui sont construites à l’origine en opposition à la puissance publique, pour imaginer et mettre en œuvre de nouvelles figures d’État ? Notre recherche s’inscrit dans la sociologie pragmatique, et en particulier la sociologie des épreuves d’État (Linhardt, 2012). Dans un premier temps, nous avons mené une enquête historique pour savoir comment le mouvement des communs numériques constitue l’État en problème et la manière dont cette mise à l’épreuve influence les différentes conceptualisations des communs numériques. Nous empruntons ici à la sociologie de la critique, la sociologie des sciences et à l’histoire sociale des idées pour analyser un corpus constitué par la production académique sur les communs numériques, une vaste littérature grise (programme de conférences, discours, billets de blog, etc.) et une dizaine d’entretiens semi-directifs. Dans un second temps, nous avons étudié la manière dont des entrepreneurs bureaucratiques se saisissent des communs numériques pour construire un projet réformateur dans quatre pays en particulier : France, États-Unis, Équateur et Espagne (Barcelone). Nous utilisons les outils de la sociologie des réformes de l’administration pour étudier un corpus constitué d’une littérature grise (rapports publics) et quinze entretiens semi-directifs. Dans un troisième temps, nous avons plongé dans l’épreuve d’État et ses tentatives de clôtures en explorant ses différents foyers dans une perspective ancrée dans la sociologie de l'innovation, la sociologie du travail institutionnel et la sociologie de l'État. Nous procédons ici par étude de cas - Base Adresse National, Openfisca et Decidim - à travers une centaine d’entretiens semi-directifs, l’analyse de littérature grise (listes de diffusion, licences juridiques, rapports, etc.) et une éthnographie en ligne des plateformes numériques de travail (Github, Slack).Nous montrons qu’un ensemble d’acteurs, dans des contextes nationaux différents, prennent appuient à partir du trouant des années 2000 sur des pratiques et des représentations du monde numérique pour dessiner une figure d’État, qui ne s’articule pas centralement aux catégories traditionnelles d’individu, de propriété privée, de marché d'un côté, et de société, de propriété publique, de bureaucratie de l'autre, mais à celle de communauté, de propriété partagée et d'autogouvernance. Nous montrons que cela entraîne des transformations sur l’État qui ne sont pas univoques, qui se déploient centralement autour du droit et qui redistribuent du pouvoir d’agir au sein et à l’extérieur de l’espace étatique en fonction de certains paramètres politiques, juridiques et institutionnels que nous mettons à jour