Thèse soutenue

Gouverner les étrangers au Maroc : les Subsahariens au guichet, et au-delà

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Auteur / Autrice : Mamadou Alimou Diallo
Direction : Béatrice Hibou
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Science politique
Date : Soutenance le 07/12/2021
Etablissement(s) : Paris 10
Ecole(s) doctorale(s) : École Doctorale Droit et Science Politique (Nanterre, Hauts-de-Seine ; 1992-...)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Institut des sciences sociales du politique (Nanterre ; 2006-....)
Jury : Président / Présidente : Richard Banégas
Examinateurs / Examinatrices : Béatrice Hibou, Richard Banégas, Johanna Siméant-Germanos, Mohamed Tozy, Michel Agier, Abdellali Hajjat, Danièle Lochak
Rapporteur / Rapporteuse : Johanna Siméant-Germanos, Mohamed Tozy

Résumé

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Pourquoi choisir le thème de l’immigration pour étudier la formation de l’État au quotidien et les transformations des façons de gouverner dans le Maroc contemporain ? Le territoire marocain est réputé être une « passoire » où transitent toutes les catégories d’étrangers indésirables dont la seule ambition serait de passer massivement dans les pays européens, un territoire aux frontières désormais connues pour être « mortifères ». En revanche, on sait peu de choses sur la façon dont les populations étrangères y sont gouvernées, administrées et contrôlées par une diversité d’acteurs qui mettent en œuvre une pluralité de dispositifs de pouvoir dans des espaces hétérogènes. De la wilaya à la médina, du consulat aux tranquillos, du camp aux guichets,de la gare routière aux frontières, de la forêt au centre-ville, du quartier à la chambre d’un faussaire ou d’un passeur, de l’agence d’un professionnel de l’immobilier (semsar, concierge, bailleur et agent immobilier) au bureau d’un professionnel du droit (avocat, notaire, adoul), de la rue au bureau d’une association, de la cafétéria à la mosquée, du centre d’enfermement au tribunal, du lieu de travail au bureau d’un syndicat, émerge un archipel qui donne à voir des figures improbables, des espaces insolites, des pratiques illégales, des dispositifs bricolés et des acteurs pluriels, qui collaborent et s’affrontent, négocient la frontière, contournent et transgressent les règles juridiques et les normes sociales. L’accès à ces espaces met en rapport des acteurs en position de pouvoir et en situation d’intermédiation avec des étrangers en quête de ressources et de services : avoir accès à la nationalité marocaine ; faire reconnaitre son enfant illégitime auquel l’État refuse la nationalité marocaine ; demander une autorisation de séjour ou un visa de travail ; demander un certificat de résidence ; louer un appartement ou acheter un bien immobilier interdit à une catégorie d’étrangers ; hériter des biens laissés par un étranger décédé ; aider la police à identifier un migrant décédé ; acheter un ticket de bus pour voyager aux frontières ; solliciter une assistance sociale et matérielle auprès d’une association ; demander la régularisation ; se faire fabriquer des faux papiers d’identification…Si la gestion de l’immigration est instantanément associée aux bureaux et aux guichets des étrangers, aux législateurs et aux services de sécurité ainsi qu’aux cours et aux tribunaux, le gouvernement des étrangers invite quant à lui à aller au-delà de ces acteurs et lieux bureaucratisés, spécialisés et institutionnalisés. À partir du cas marocain, cette thèse met en lumière ce que gouverner les étrangers veut dire au quotidien ; comment, concrètement, ce processus ne se réalise que par une multiplicité d’intermédiaires, par une hybridation de pratiques d’acteurs évoluant dans des espaces hétérogènes et par la coexistence de diverses façons de penser les étrangers. Elle souligne également combien la situation contemporaine ne peut se comprendre qu’en tenant compte de la trajectoire historique propre au Maroc, et notamment tout l’héritage colonial et des premières années d’indépendance. Nourrie d’enquêtes multi-situées, variant les échelles et combinant ethnographie, archives, entretiens et observation participante, cette thèse montre que la politique d’immigration d’un État ne se mesure pas uniquement au regard des pratiques des grands commis de l’État et de ses agents qui la mettraient en œuvre au « guichet » et dans les bureaux de l’administration publique, mais qu’elle ne se comprend qu’en intégrant dans l’analyse les pratiques et les façons de gouverner d’acteurs hybrides et privés, issus du monde associatif et du monde des affaires ainsi que les tactiques employées par les migrants eux-mêmes. L’originalité de cette thèse tient à sa capacité à tenir ensemble toutes ces échelles de gouvernement.