S'inventer écrivain à Madrid sous les derniers Habsbourg d'Espagne : enquête sur le succès littéraire de Francisco Santos
Auteur / Autrice : | Alain Tourneur |
Direction : | Michèle Guillemont, Samuel Fasquel |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Langues et littérature romanes |
Date : | Soutenance le 26/11/2021 |
Etablissement(s) : | Université de Lille (2018-2021) |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Sciences de l'homme et de la société (Lille ; 2006-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Centre d'études en civilisations, langues et littératures étrangères (Villeneuve-d'Ascq, Nord) |
Jury : | Président / Présidente : Frank Greiner |
Examinateurs / Examinatrices : Christine Marguet, David González Ramírez | |
Rapporteurs / Rapporteuses : Anne Cayuela, Françoise Crémoux |
Mots clés
Mots clés contrôlés
Mots clés libres
Résumé
Francisco Santos est un modeste soldat de la garde du roi d’Espagne. Il a quarante ans lorsque son premier roman, « Día y noche de Madrid », est édité dans la capitale de l’empire catholique. Acteur et témoin de la vie des madrilènes de condition inférieure, sous Philippe IV et Charles II de Habsbourg, il publie dix-sept titres, de 1663 à 1697. Certains de ces textes sont réédités, des volumes sont exportés. Dans ses fictions, Santos combine la narration en prose, la poésie et le théâtre ; il critique et satirise les mœurs de ses contemporains, selon une morale pieuse contre-réformiste. Sans formation académique mais nourri par la lecture des grands noms de la littérature espagnole, cet autodidacte parvient à construire une carrière professionnelle d’écrivain à succès. L’enquête que propose cette thèse met ainsi en lumière le paradoxe d’une société d’Ancien Régime qui, arrivée au crépuscule de son Siècle d’Or, permet à l’un de ses sujets les plus humbles de devenir un auteur fécond, miroir de son époque et reflet d’un patrimoine littéraire partagé par ses lecteurs. Grâce aux outils de la sociologie de la littérature, ce travail explore le tissu social, les sphères culturelles, politiques et religieuses, ainsi que les débats qui agitent l’Espagne au temps des derniers souverains de la Maison d’Autriche. Dans quelle mesure sa naissance à Madrid, son réseau de sociabilité composé de soldats et d’officiers, d’amis et de soutiens appartenant à l’Église et à la petite noblesse, influencent-ils son écriture ? Tente-t-il d’élaborer une ligne éditoriale avec ses libraires et ses imprimeurs ? Le vide de créativité de la fiction narrative en prose oriente-t-il ses choix formels et thématiques ? Courageux et opiniâtre, Santos met à profit son talent de narrateur et sa sensibilité, pour susciter l’imaginaire du lecteur. Il s’approprie et il combine les expérimentations et les innovations de ses prédécesseurs. Quelle source d’inspiration et d’emprunts constituent, pour lui, Alemán, Cervantès, Lope de Vega, Quevedo, Saavedra Fajardo, Salas Barbadillo, Pérez de Montalbán, Castillo Solórzano, Vélez de Guevara, Zabaleta, Gracián et Calderón ? Qu’emprunte-t-il aussi à la satire populaire et littéraire, aux écrits religieux, à la prédication dévote, à l’iconographie sacrée, à la littérature d’emblèmes et aux récits d’évènements ? Attentif aux débats qui agitent la société de son temps, Santos nourrit sa littérature de dévotions en vogue ‒ cultes des saints, des anges, des âmes du purgatoire ‒, il contribue spontanément à l’exaltation de la « pietas austriaca » ‒ tout particulièrement l’Immaculée Conception, la Sainte Eucharistie et la Sainte Croix ‒ ; il multiplie dans ses textes les appels à la charité et à l’ordre morale, les réflexions sur le coût de la vie, sur les tentatives de réformes opérées par la Monarchie. Pauvre, il représente les miséreux avec dignité. Santos connaît une réussite commerciale non négligeable, de son vivant et jusqu’au XIXe siècle, en Espagne et à l’étranger. Il inspire Lesage, Torres Villarroel et Lizardi. Depuis le XXe siècle, il intéresse divers bibliographes et spécialistes de la littérature, qui voient dans sa production une expression précoce du costumbrisme ou encore un épiphénomène de la picaresque. Aussi, des études fragmentaires et des éditions critiques ponctuelles ont été publiées. En 2017, García Santo-Tomás signale l’absence d’un travail global et approfondi sur Francisco Santos et son œuvre. La présente thèse y remédie, en apportant un éclairage nouveau et complet sur les enjeux sociaux, éditoriaux, politiques, économiques et religieux auxquels se confronte un humble espagnol, pour construire une carrière d’écrivain professionnel, dans le dernier tiers du XVIIe siècle. Cette étude contribue ainsi à affiner les connaissances sur la société espagnole, la fiction narrative en prose, sa matérialité, et l’historiographie de l’Espagne.