L'État vampire : don de sang, transfusion sanguine et politiques de la vie au Gabon
Auteur / Autrice : | - Tonda Maheba |
Direction : | Joëlle Vailly |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Sociologie |
Date : | Soutenance le 08/10/2021 |
Etablissement(s) : | Paris, EHESS |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales |
Jury : | Président / Présidente : Didier Fassin |
Examinateurs / Examinatrices : Didier Fassin, Florence Bernault, Carolyn Fishel Sargent, Julien Bonhomme, Laurence Kotobi | |
Rapporteur / Rapporteuse : Florence Bernault, Carolyn Fishel Sargent |
Mots clés
Mots clés contrôlés
Résumé
Au milieu des années 1990, lorsque les banques de sang furent instituées en Afrique centrale comme des remparts à l’épidémie du sida par un renforcement de l’attention portée à la sécurité transfusionnelle, le recours aux donneurs de sang bénévoles fut également inscrit au rang de priorité des politiques de collecte de sang. Pourtant, près d’une trentaine d’années après, la collecte de sang au Gabon repose en très grande majorité sur des prélèvements sanguins effectués auprès de donneurs de sang familiaux ou de militaires, considérés par des études épidémiologiques comme des populations à « risque » ou à « haut risque » transfusionnel. Cette thèse propose une analyse sociologique des politiques et de la pratique du don de sang au Gabon, à partir de cette situation qui perdure. Le constat qui se dégage des enquêtes de terrain menées par entretiens et observations simples ou participantes à Libreville, Lambaréné et Franceville, rend compte de tensions entre les structures étatiques ayant en charge cette question de santé, et le public dont elles sont censées prendre soin. Pour les responsables des banques de sang, les dons de sang compensatoires obligatoires à la charge des familles des patients à transfuser et la cession payante des poches de sang, décriés par le public, sont indispensables à leur fonctionnement et constituent une réponse à l’absence de « culture du don de sang des Gabonais ». Pour les usagers de ces structures en revanche, cela participe d’une forme d’injustice ou d’enrichissement à leurs dépens, tant cela relève d’une logique contradictoire avec la dénomination de « don » accolée à ce geste. C’est pour eux la preuve que l’État, dans un contexte social marqué par l’endémicité de la violence (politique, économique, des « crimes rituels », etc.) qu’il est accusé d’entretenir, n’accorde aucune importance à leur vie. De cette opposition émerge un ensemble de questions touchant aux valeurs d’usage du sang et à la valeur de la vie, cette dernière étant naturellement constituée, pour tous, comme ce que le don de sang permet de « sauver ». Ce point de convergence qui peut sembler paradoxal souligne en réalité le caractère plus complexe, dialectique, de cet objet d’étude et l’existence de nœuds de tensions autour de la gestion étatique des dons de sang. Des tactiques individuelles ou familiales de solidarité ciblée répondent ainsi aux stratégies de collecte de sang, ou encore, la condamnation de la marchandisation des produits sanguins n’est pas contradictoire avec le désir de se faire rémunérer en contrepartie d’un don de sang. Pour comprendre comment fonctionne et se maintient ce dispositif dans lequel les deux pôles s’incriminent mutuellement, et expliquer pourquoi et à qui l’on donne du sang, mais aussi définir les politiques et pratiques qui fixent la valeur de la vie dans ce contexte, l’hypothèse adoptée est celle portée par le concept opératoire d’État vampire. Par ce dernier, qui tient compte de la définition émique locale du vampire, représentant à la fois les forces mystiques de la sorcellerie et des dispositions individuelles qui poussent à agir, il s’agit de rendre compte du rapport social de prélèvements sanguins entretenu par la constitution de sujets reproduisant paradoxalement les logiques de fonctionnement des dispositifs transfusionnels qu’ils critiquent et auxquels ils croient s’opposer. De là découlent des politiques de la vie marquées par l’aveuglement des sujets quant à leur réduction à n’être que des valeurs d’usages corporelles travaillant à leur propre vampirisation par l’État, détenteur du pouvoir/savoir transfusionnel.