Thèse soutenue

La nouvelle politique familiale russe (2007-2020) : de la crise démographique à la représentation de la famille "traditionnelle"
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Auteur / Autrice : Svetlana Russkikh
Direction : Cécile Lefèvre
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sociologie
Date : Soutenance le 02/12/2020
Etablissement(s) : Université Paris Cité
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sciences des sociétés (Paris ; 2019-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre de recherches sur les liens sociaux (Paris ; 2002-....)
Jury : Président / Présidente : Alain Blum
Examinateurs / Examinatrices : Cécile Lefèvre, Alain Blum, Claude Martin, Christophe Giraud, Sophie Hohmann, Veronika Duprat-Kushtanina, Jacques Véron
Rapporteurs / Rapporteuses : Alain Blum, Claude Martin

Résumé

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À partir de l'exemple de la Russie, cette thèse tend vers une meilleure compréhension des mécanismes sociologiques pouvant influencer les dynamiques familiales en lien avec les politiques publiques. La chute de l'URSS s'accompagne d'une crise démographique qui se traduit dans la durée par le décroissement de la population russe. C'est dans ce contexte qu'émerge en Russie une nouvelle politique familiale visant à influencer en profondeur les dynamiques et représentations de la famille. Dans les années 2000, le gouvernement introduit des mesures incitant toutes les femmes à procréer, quels que soient leurs revenus. Puis, dans les années 2010, l'État accompagne ces incitations économiques d'une campagne valorisant la famille explicitement définie comme « traditionnelle » (couple hétérosexuel marié avec enfants). Sur la base d'une enquête de terrain réalisée dans trois régions de Russie (république du Tatarstan, république d'Oudmourtie et oblast d'Oulianovsk), cette thèse aborde les différents effets de cette politique sur les dynamiques familiales. Même si l'on observe une augmentation de la natalité depuis ces dernières années, l'impact réel des mesures nouvellement introduites sur les indices quantitatifs fait débat au sein de la communauté scientifique. L'approche qualitative sur laquelle se base cette thèse permet d¿identifier des mécanismes au niveau microscopique (le noyau familial) qui peuvent expliquer certaines des tendances socio-démographiques observées au niveau macroscopique. De façon inattendue, certains de ces mécanismes vont à l'encontre des objectifs de la nouvelle politique familiale : les prestations proposées amènent parfois à une amélioration des conditions de vie qui permet à certains bénéficiaires d'envisager le divorce ou de quitter le domicile parental. Ces effets observés dans les régions étudiées remet en cause deux paramètres du modèle « traditionnel » promu par l'État : le couple marié et la cohabitation intergénérationnelle. À défaut d'influencer tangiblement la structure familiale, il est légitime de se demander si le modèle « traditionnel » prend place dans la représentation collective de la famille. On observe à la fin des années 2000 l'émergence de concours de familles-modèles organisés et financés par les instances régionales de la politique familiale. La centralisation progressive de ces concours régionaux dans les années 2010 amène à une standardisation des critères de sélection aboutissant de fait à la valorisation d'un modèle familial unique sur l'ensemble du territoire de la Russie. La promotion de ce modèle passe par la médiatisation des familles-lauréates et leur accession à un statut spécifique (ex. : "Ambassadeurs du bonheur familial dans l'oblast d'Oulianovsk"). En s'engageant personnellement dans la réalisation de la politique familiale, les familles-lauréates exercent une influence sur leurs proches et sur elles-mêmes. La famille « traditionnelle » devient alors non seulement une norme définie par le gouvernement et les autorités régionales, mais aussi une norme sociale intériorisée par la mise en place des concours. La famille semble donc pouvoir être influencée par la nouvelle politique familiale, mais pas nécessairement dans le sens des objectifs définis par l'État. Les mesures introduites pour stimuler la natalité ont un impact inattendu sur les dynamiques familiales par le truchement de l'amélioration des conditions de logement qu¿apportent les nouvelles prestations, tandis que la promotion d'un modèle « traditionnel » influence la représentation de la famille à défaut d'influencer sa structure. Les effets sur le long terme de tels changements sont encore à observer.