Thèse soutenue

Une ville à vendre : numérisation et financiarisation du marché du logement au Cap : stratification et ségrégation de la métropole émergente

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Auteur / Autrice : Julien Migozzi
Direction : Myriam Houssay-HolzschuchRenaud Le Goix
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Géographie
Date : Soutenance le 09/10/2020
Etablissement(s) : Université Grenoble Alpes
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale sciences de l'homme, du politique et du territoire (Grenoble ; 2001-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Pacte, laboratoire de sciences sociales (Grenoble, Isère, France)
Jury : Président / Présidente : Sophie de Ruffray
Examinateurs / Examinatrices : Desiree Fields
Rapporteurs / Rapporteuses : Gabriel Fauveaud, Marianne Morange

Résumé

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Cette thèse porte sur la numérisation et la financiarisation du marché du logement dans la métropole émergente du Cap, en Afrique du Sud. M'inscrivant dans les champs croisés de la sociologie économique et de la géographie urbaine, je propose la notion d'agencement de marché du logement pour étudier dans un même mouvement les structures actorielles et institutionnelles du marché immobilier au Cap, ainsi que ses conséquences sur les mécanismes de stratification sociale et sur les formes et processus de la division sociale de l'espace dans une métropole émergente. À cet effet, je mobilise une méthode mixte fondée sur l'intégration des approches qualitatives et quantitatives, qui associe une enquête de terrain de 18 mois menée auprès des acteurs du marché (agents, promoteurs, courtiers en crédit, banquiers, investisseurs, ménages), reposant sur les méthodes de l'entretien et de l'observation participante, avec l'analyse spatiale et statistique d'une base de données de 900 000 transactions résidentielles. Je démontre ainsi comment le marché du logement a été reconfiguré comme un flux continu de données par le déploiement de plateformes numériques et par la construction progressive du logement en actif financier, aussi bien sur le marché de l'acquisition que sur le locatif, tout en retraçant l'évolution spatiale des prix et du crédit dans l'espace urbain. Le marché génère ainsi deux mécanismes de filtrage qui recomposent les structures de l'espace social et urbain : i) l'abordabilité du logement, qui est déterminée par l'inégale distribution spatiale des prix et celle, sociale, des revenus et du patrimoine, dans un marché caractérisé par des pratiques de prêt socialement et racialement sélectives ; ii) les technologies du credit scoring, qui permettent la classification automatisée des citoyens sud-africains par un filet informationnel d'une sophistication et d'une ampleur inédites aussi bien pour le Global North que le Global South. Les banques et les "corporate landlords", qui ont récemment investi le marché locatif en pleine résurgence du fait de l'inflation immobilière, utilisent les plateformes du credit scoring pour sélectionner les demandes de prêts et les locataires, dans une société urbaine caractérisée par l'endettement et le maintien d'une forte ségrégation raciale. Le marché du logement se définit ainsi comme une économie spatialisée de la classification, où les individus, les logements et les quartiers sont évalués et catégorisés selon des indicateurs et métriques de mesure de profit et de gestion du risque. La distribution spatiale et sociale du crédit constitue ainsi un facteur primordial pour comprendre l'évolution des inégalités, des mécanismes ségrégatifs et des structures résidentielles de la métropole sud-africaine, en sortant du référentiel du "post-apartheid". Afin de penser la stratification depuis le marché, je propose de définir la classe moyenne comme une "classe filtrée" et de comprendre l'émergence métropolitaine comme une mise en ordre de l'urbain par des agencements de marché numérisés et financiarisés, qui renouvellent les logiques de classe, de ségrégation et de production de l'espace urbain.