L'or et l'argent : identifications dynastiques et relations hiérarchiques dans les royautés sakalava de Madagascar
Auteur / Autrice : | Maurizio Esposito La Rossa |
Direction : | Carlo Severi, Laurent Berger |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Anthropologie sociale et ethnologie |
Date : | Soutenance le 09/12/2020 |
Etablissement(s) : | Paris, EHESS |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales |
Jury : | Président / Présidente : Michael Joshua Lambek |
Examinateurs / Examinatrices : Michael Joshua Lambek, Gillian Feeley-Harnik, Anne de Sales, Grégory Delaplace, Laurent Dousset, Isabel Yaya McKenzie | |
Rapporteurs / Rapporteuses : Gillian Feeley-Harnik, Anne de Sales |
Mots clés
Résumé
L’histoire est souvent racontée par les vainqueurs. Même lorsqu’il s’agit de l’histoire des vaincus, ce sont ou bien les vainqueurs qui la rapportent, ou bien les vaincus survivants assis sur le trône des vainqueurs qui la relatent. Tel est le cas de l’histoire des Zafinifotsy, des « descendants de l’argent », auxquels cette étude est consacrée. Identifiés par une tradition historiographique comme étant une branche dynastique mineure sakalava, vaincue par les « descendants de l’or », ces descendants de l’argent auraient fondé un nouveau royaume dans le nord de Madagascar au milieu du XVIIIe siècle : le royaume antankaraña. Cependant, une partie de ces descendants de l’argent se serait suicidée par noyade dans les eaux d’une baie au nord-ouest de l’île. Dans cette région, gouvernée actuellement par une royauté des descendants de l’or (Zafinimena), un culte de possession est dédié aux esprits de ces nobles de l’argent noyés, anciens rivaux des souverains de l’or. Face à la crise politique et économique que rencontre Madagascar depuis plusieurs années, c’est au travers de ces catégories dynastiques de l’or et de l’argent que des groupes claniques ainsi que des acteurs politiques négocient leur légitimité et leur position actuelle dans le contexte postcolonial de l’État républicain malgache. En s’occupant des rituels royaux, les descendants d’esclaves et les serviteurs des royautés sakalava, revendiquent une conception de loyauté et du travail différente de celle imposée d’abord par la colonisation, ensuite par l’État postcolonial. Les représentants du gouvernement national en revanche puisent dans leurs origines nobles, et plus généralement dans l’histoire des rois, pour légitimer leur pouvoir controversé au sein de la population. C’est cette idéologie du pouvoir royal et de la hiérarchie sociale mobilisée par ces acteurs que cette thèse interroge.À partir de l’étude des traditions orales et des activités rituelles dans les différents villages où ce culte est pratiqué, j’ai analysé les relations historiques et rituelles entre les groupes dynastiques ou claniques auxquels ses participants se rattachent. En effectuant un parcours à travers ces différents sites et, plus largement, à travers les principales capitales historiques des royautés sakalava, j’ai ainsi réalisé une histoire régressive de ces dynasties royales. Sur la base des contradictions ayant émergé des traditions orales et des interactions rituelles, cette histoire régressive, inspirée par les travaux de Marc Bloch et de Nathan Wachtel, a permis de révéler que ces dynasties royales sont à l’origine des catégories fonctionnelles et relatives permettant d’organiser la succession royale. Selon cette organisation, aux descendants de l’or revient le pouvoir de régner, aux descendants de l’argent, celui de légitimer rituellement le pouvoir des premiers. Cette hiérarchie ambivalente entre ces deux catégories de nobles est d’ailleurs façonnée sur les relations à plaisanterie qui lient les rois étrangers de l’or aux maîtres de la terre. C’est dans des conjonctures historiques particulières que ces catégories structurelles et contextuelles se sont cristallisées en appellations dynastiques. Ce processus de dynastisation a été initié notamment par les descendants de l’argent ayant fondé le royaume antankaraña, c’est-à-dire les anciens vaincus assis sur le trône des vainqueurs. Cet exemple ethnographique représente donc un cas concret de la « structure de la conjoncture » théorisée par Marshall Sahlins. En conclusion, cette étude montre sous un jour nouveau les mécanismes de fondation et d’organisation du pouvoir royal sakalava, ainsi que le caractère fonctionnel et structurel de ces catégories « de l’or » et « de l’argent », réifiées en groupes dynastiques réels dans des conjonctures historiques particulières. Plus généralement, cette thèse permet d’appréhender la nature relationnelle et contextuelle de la hiérarchie et des identités individuelles et collectives à Madagascar.