Thèse soutenue

Crimes et châtiments. La pratique de qesâs en Iran sous la République islamique : ‎État, société et punition

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Auteur / Autrice : Shiva Rouholamini
Direction : Marie Ladier-Fouladi
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Etudes politiques
Date : Soutenance le 30/09/2020
Etablissement(s) : Paris, EHESS
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales
Jury : Président / Présidente : Sarah Ben Néfissa
Examinateurs / Examinatrices : Sarah Ben Néfissa, Nathalie Bernard-Maugiron, Christian Bromberger, Hamit Bozarslan, Myriam Catusse, Luc Foisneau, Baudouin Dupret
Rapporteurs / Rapporteuses : Nathalie Bernard-Maugiron, Christian Bromberger

Résumé

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Depuis son instauration en 1979, la République islamique a fait le choix d’adopter le qesâs ‎‎(la loi de talion) comme châtiment dans les cas d’agressions physiques graves, et se réfère aux ‎textes islamiques pour justifier l’usage qui en est fait. Le principe du qesâs préconise un châtiment ‎physique égal au crime, qui ne peut pas être exécuté sans la demande explicite de la victime ou de ‎sa famille. Ce mécanisme revient de fait à conférer l’initiative de la sentence aux victimes. En ‎pratique, une phase de négociations en dehors des procédures juridiques sépare la prononciation de ‎la peine de son exécution, au cours de laquelle les différents groupes essayent d’influencer la ‎décision de la victime ou de sa famille. En laissant le choix du châtiment d’un crime à des ‎personnes privées, la République islamique délègue aux individus une part de son monopole de ‎l’usage légitime de violence. Cette étude est née du besoin de tirer au clair les raisons pour ‎lesquelles la République islamique a opté pour ce choix. Elle cherche à vérifier l’hypothèse selon ‎laquelle la pratique du qesâs est utilisée en République islamique comme un outil de légitimation du ‎pouvoir dans une stratégie cohérente qui privilégie l’affecte plutôt que la raison. Ce choix s’inscrit ‎dans une stratégie de l’État pour contrôler la société civile, renforcer son pouvoir et empêcher ‎toute opposition, malgré la phase de négociation qui peut paraître un espace de liberté et d’activité ‎pour cette dernière. ‎Le rapport des personnes, des sociétés, et des gouvernements à la justice, traduit par les ‎comportements, les rites, et les lois, est un outil qui nous aide à voir plus clair dans l’articulation ‎des interactions de la société et de l’État. Cette recherche propose d’analyser les actions de la ‎République islamique d’Iran et de la société iranienne en examinant le traitement des cas ‎d’agressions physiques graves par les acteurs à l’intérieur et à l’extérieur de l’institution judiciaire ‎pénale iranienne. L’analyse se fonde aussi bien sur une série d’entretiens avec des acteurs de la ‎justice, des discours publics des institutions et des acteurs politiques et médiatiques au sujet du ‎qesâs, que sur l’observation d’une série d’affaires survenues au cours des deux dernières décennies. ‎L’enquête empirique s’est notamment concentrée sur la phase de négociation informelle, mais ‎cruciale. Cette thèse fait le choix d’aborder la pratique du qesâs comme un phénomène social total. ‎L’enjeu étant de mettre en lumière les spécificités de cette pratique et de repérer aussi bien les ‎fonctions remplies par la République islamique en tant qu’État que les espaces d’influence occupés ‎par la société. Elle met en particulier l’accent sur la modification de la définition du citoyen et son ‎rapport direct à l’État au profit d’un statut qui n’existe que dans son rapport avec un groupe de ‎parenté restreint. L’examen des actions de la société et de ses réactions à la pratique du qesâs ‎permet de saisir ses questionnements moraux et ses réflexions sur ses droits et son statut, ainsi que ‎la forme de ses tentatives d’actions collectives. Par cette pratique du qesâs, le système judiciaire ‎participe à la création d’un régime d’insécurité et d’instabilité, privant, par là même, la société ‎d’une justice traitant chaque citoyen de manière égalitaire.‎