Le risque infectieux au regard des pratiques d'acteurs : une anthropologie ''par le bas'' de la gestion du risque infectieux à l'hôpital
Auteur / Autrice : | Clément Tarantini |
Direction : | Yannick Jaffré, Patrick Peretti-Watel |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Anthropologie sociale et ethnologie |
Date : | Soutenance le 06/10/2020 |
Etablissement(s) : | Paris, EHESS |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales |
Jury : | Président / Présidente : Frédéric Keck |
Examinateurs / Examinatrices : Frédéric Keck, Marie Jauffret-Roustide, Anne-Marie Moulin, Philippe Brouqui | |
Rapporteurs / Rapporteuses : Marie Jauffret-Roustide, Anne-Marie Moulin |
Mots clés
Résumé
Partant d’une enquête ethnographique, cette thèse interroge la construction sociale des pratiques de gestion du risque infectieux chez les professionnels de santé d’un service hospitalier de Maladies Infectieuses et Tropicales. De telles unités ont pour spécificité d’accueillir exclusivement des patients contagieux ou suspectés de l’être et de se situer en première ligne dans la réponse aux crises sanitaires épidémiques : les problèmes liés aux infections nosocomiales (IN) et la circonscription des épidémies y tiennent donc une place cruciale. Afin de répondre à ces menaces, ces unités sont appareillées d’un ensemble d’objets hétérogènes destinés à limiter la circulation et la transmission des agents infectieux : savoirs experts, recommandations, équipements de protection, organisation spatiale, etc. Ces multiples objets, de natures variées mais s’inscrivant dans une visée commune, composent ce que j’appelle des dispositif d’isolement. En outre, le service enquêté a pour particularité de se situer au centre d’un projet de lutte contre les IN – dans le cadre duquel a été réalisée cette enquête – reposant sur le développement d’une innovation sociotechnique venant renforcer ses dispositifs d’isolement : un audit « automatisé » de l’hygiène des mains. Ce travail anthropologique invite alors à se détacher de la notion de risque telle qu’appréhendée par la santé publique, et à s’intéresser aux agencements du risque par lesquels se construisent les pratiques d’acteurs. Se dévoilent ainsi certaines des lignes qui composent ces agencements, les façons dont elles se rejoignent, divergent, et jouent les unes sur les autres. C’est en suivant ces lignes que se dessinent les dynamiques sociales impliquées dans la construction des pratiques préventives face au risque infectieux, ainsi que leur caractère socialement différencié. Ces lignes peuvent être au moins de trois sortes : historiques, normatives, et sensibles. Les premières éclairent tant l’histoire longue dont sont aujourd’hui les héritiers les services de maladies infectieuses et tropicales et les dispositifs d’isolement qu’ils abritent, que les singularités d’une histoire locale, chacune façonnant, à sa manière, les visages du soin et les rapports au risque infectieux. Les secondes sont normatives, en ce sens qu’elles découlent directement des processus par lesquels les dispositifs d’isolement et les innovations socio-techniques qui s’y rattachent participent de la constitution des pratiques d’acteurs. De ces lignes s’exprime alors la question des évaluations et des jugements que les soignantes portent sur ces dispositifs, des façons dont elles composent et négocient avec eux pour s’engager dans des activités de soin qui impliquent de faire face aux dangers invisibles incarnés par les agents infectieux pathogènes. Les troisièmes sont certainement les plus occultées par les experts de la prévention, tant la question des émotions et des sentiments entre en tension avec la rationalité scientifique. Pourtant, les sentiments de peur et de dégoût, tout comme l’expérience de la saleté associée à ce dernier, sont au fondement de formes de socialisations et de stratégies professionnelles centrales dans la construction des rapports au risque infectieux. À l’heure où les résistances bactériennes s’imposent comme un nouveau défi dans la lutte contre les IN, et où les maladies (ré)émergentes sont au centre des préoccupations des autorités sanitaires, les professionnels de santé, et plus encore ceux de « première ligne » exerçant dans des services de maladies infectieuses et tropicales, jouent un rôle décisif dans la lutte contre ces nouveaux risques infectieux. Mettre au jour les ancrages sociaux du risque par la réalisation d’études empiriques qualitatives constitue alors, à n’en pas douter, un enjeu essentiel pour contribuer à la prévention des infections nosocomiales et à la gestion de ces nouvelles épidémies. De nombreuses autres lignes restent à explorer.