Thèse soutenue

Une entreprise inaccessible ? Faire la preuve des pathologies environnementales par l'épidémiologie : l'exemple du nucléaire en Grande-Bretagne et en France

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Auteur / Autrice : Laura Barbier
Direction : Soraya BoudiaJean-Paul Gaudillière
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sociologie
Date : Soutenance le 25/11/2019
Etablissement(s) : Université Paris Cité
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sciences humaines et sociales : cultures, individus, sociétés (Paris ; 1994-2019)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre de recherche, médecine, sciences, santé, santé mentale, société (Villejuif, Val-de-Marne ; 2010-....)
Jury : Président / Présidente : Francis Chateauraynaud
Examinateurs / Examinatrices : Francis Chateauraynaud, Emmanuel Henry, Madeleine Akrich, Angela N. H. Creager
Rapporteur / Rapporteuse : Emmanuel Henry, Madeleine Akrich

Résumé

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Cette thèse consiste en une analyse croisée des pathologies environnementales en Grande-Bretagne et en France, et se situe au carrefour de l'étude des sciences et des techniques (science studies), la sociologie des risques sanitaires et environnementaux, et la nouvelle sociologie politique des sciences. Elle combine l'analyse d'un large corpus de documents - archives institutionnelles et associatives, articles scientifiques, rapports d'expertise, articles de presse généraliste et spécialisée - et la conduite d'une quarantaine d'entretiens semi-directifs avec les différents experts et contre-experts qui ont participé aux controverses et à la production de connaissances qu'elles ont suscitée. Je pars du constat du maintien d'une forte incertitude sur la question des risques de cancer autour des installations nucléaires en fonctionnement de routine, alors qu'une quantité très abondante d'études épidémiologiques ont été menées sur plus de trois décennies. Mon travail cherchera à éclairer cette situation d'apparence paradoxale à partir de l'étude de deux cas de controverse portant sur le risque de cancer et de leucémie infantiles encouru par les riverains d'usines de retraitement des combustibles nucléaires usés : celle de Sellafield au Nord-Ouest de l'Angleterre et de la Hague au Nord-Ouest de la France. La thèse s'intéresse à la production de connaissances scientifiques et à leur mobilisation dans l'administration de la preuve publique et dans la gestion de ces controverses. Elle montrera que l'existence d'une forme d'incertitude scientifique inhérente à la complexité des pathologies environnementales (étiologie multifactorielle des maladies, difficultés liées à la reconstitution des expositions, au temps de latence entre exposition et survenue des maladies) se trouve renforcée par les standards de preuve épidémiologiques dominants dans les différents contextes d'expertise. Ainsi, l'orientation et l'interprétation des études menées par les experts britanniques ont été fortement contraintes par un présupposé largement partagé par les épidémiologistes selon lequel les doses de radiations reçues par la population sont trop faibles pour expliquer les excès de cancers observés. Les experts français ont quant à eux établi une hiérarchie dans le statut de la preuve en fonction du type d'études épidémiologiques, qui se traduit dans les faits par la disqualification de l'ensemble des études menées, qui sont de design géographique et considérées comme « descriptives ». Dans les deux cas, ces pratiques ont pour conséquence que les résultats des études investiguant le lien entre l'activité normale des usines et le risque de cancer infantile sont interprétés comme incertains. En outre, bien que les experts en Europe et aux Etats-Unis s'accordent pour recommander des études épidémiologiques améliorées à plus grande échelle, ces prescriptions n'ont pas été suivi d'effet. On est ainsi en présence d'une situation d'''undone science'' relative, qui peut s'expliquer par le désinvestissement des experts et la méfiance des autorités de régulation vis-à-vis d'études aux résultats imprévisibles. Parallèlement, la mobilisation de contre-experts qui ont proposé d'autres manières de faire est restée faible, alors que l'argument sanitaire a eu tendance à se marginaliser dans la critique du nucléaire.