Thèse soutenue

De l'homme alcoolique à la femme dépressive : essai d'une histoire sociale de l'émergence du problème de la dépression au Chili

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Auteur / Autrice : Claudio Maino Orrego
Direction : Pierre-Henri CastelEsteban Radiszcz
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Epistémologie, histoire des sciences et des techniques
Date : Soutenance le 18/11/2019
Etablissement(s) : Université Paris Cité
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sciences humaines et sociales : cultures, individus, sociétés (Paris ; 1994-2019)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre de recherche, médecine, sciences, santé, santé mentale, société (Villejuif, Val-de-Marne ; 2010-....)
Jury : Président / Présidente : Francisco Ortega
Examinateurs / Examinatrices : Francisco Ortega, Lissell Quiroz, Alain Ehrenberg, Ursula Read
Rapporteurs / Rapporteuses : Francisco Ortega, Lissell Quiroz

Mots clés

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Résumé

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De nos jours, la dépression est un indicateur clé du « malaise social » dans le monde entier. Il ne s'agit en effet plus seulement d'une maladie qui mérite un traitement médical mais aussi du révélateur des normes de conduite et des idéaux (estime de soi, autocontrôle, responsabilité, capacité de réussir et de s'épanouir dans la vie) caractéristiques des modes de vie individualistes qui se sont répandus bien au-delà des sociétés occidentales. À ce propos, dans le cadre de cette histoire sociale de l'émergence du problème de la dépression au Chili, nous nous éloignons, d'une part, des travaux basés sur le modèle de domination/résistance qui considèrent que la dépression constitue le sceau distinctif des effets préjudiciables du néolibéralisme globalisé. Nous nous affranchissons, d'autre part, des études ciblées sur les anciennes colonies et sur les nations du Tiers-Monde qui soulignent l'intégration des narrations « globales » de la dépression dans ces pays, une fois qu'ils ont atteint un niveau de développement suffisant pour autonomiser une sphère de problèmes caractéristiques de la santé mentale. Dans cette thèse, nous explorons plutôt comment, au début du XXIème siècle, des représentations collectives de la dépression, propres à la manière de faire société au Chili contribuent à encadrer les tensions sociales au niveau individuel. Par contraste avec des sociétés du nord (qualifiées de « développées » comme les États-Unis, la France ou le Japon), dans lesquelles le débat actuel sur la dépression s'inscrit dans l'histoire de la mélancolie, de la neurasthénie et de la névrose, au Chili, l'explosion du débat sur la dépression en tant qu'idiome de détresse, s'inscrit plutôt dans la longue histoire de l'alcoolisme. Les troubles alcooliques, déclarés fléau social au début du XXème siècle dans le pays, ont eu pour protagoniste l'homme ouvrier, à une époque marquée par les diatribes de classe et par un langage différencié du malheur intime, selon l'origine sociale. Plus tard dans le siècle, l'alcool est perçu, aux yeux des psychiatres locaux, comme un véritable antidépresseur ou anxiolytique pour cet homme du Peuple. La naissance de la dépression, en revanche, a pour figure principale la femme active d'une société individualiste marquée par le mérite personnel, les expectatives de consommation, la capacité de s'endetter et de surmonter les obstacles par ses propres moyens, sans faillir. Néanmoins, la nouvelle compréhension de la dépression comme langage légitime du désarroi chilien, associé au stress et à l'excès de travail, conserve une trace de la vieille représentation de l'alcoolisme. Sa genèse est ainsi toujours associée - pour certains - à la faible maîtrise de soi et au manque d'organisation individuelle, deux traits prétendument inhérents au « caractère chilien », face aux contraintes familiales (espace où se mesure le bien-être et le mal-être au Chili) et aux exigences du travail et du développement du pays. A partir de l'étude des discours médicaux et psychiatriques sur l'alcoolisme et la dépression, cette thèse met en relief les liens entre les idéaux normatifs, les valeurs et croyances et le langage collectif de la détresse au Chili. L'enjeu est de restituer les paradoxes, les dilemmes moraux et la surdétermination des évolutions sociales et historiques du pays. Il nous importe aussi de proposer une approche nouvelle de l'interrelation étroite entre tradition et modernité, bonheur familial et autonomie des femmes et représentations du développement et des inégalités du Chili actuel.