Produire la valeur politique des marchandises : La construction historique d’un lobbying agroindustriel à Bruxelles (1945-2018)
Auteur / Autrice : | Armèle Cloteau |
Direction : | Frédéric Lebaron, Sylvain Laurens |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Sociologie, démographie |
Date : | Soutenance le 11/12/2019 |
Etablissement(s) : | Université Paris-Saclay (ComUE) |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Sciences de l'Homme et de la société (Sceaux, Hauts-de-Seine ; 2015-2020) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Laboratoire PRINTEMPS (Guyancourt, Yvelines ; 1995-....) |
établissement opérateur d'inscription : Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (1991-....) | |
Jury : | Président / Présidente : Patrick Hassenteufel |
Examinateurs / Examinatrices : Frédéric Lebaron, Sylvain Laurens, Patrick Hassenteufel, Valérie Boussard, Rémy Caveng, Ève Fouilleux, Giles Scott-Smith | |
Rapporteur / Rapporteuse : Valérie Boussard, Rémy Caveng |
Mots clés
Résumé
De nombreux travaux portant sur le lobbying ont pu analyser l’histoire des groupes d’intérêts économiques basés à Bruxelles, leur structuration ou l’évolution des techniques de représentation mobilisées par les firmes. Ces études ont également exploré les différentes facettes du métier de lobbyiste et montré comment ces professionnels maintiennent une proximité avec les responsables politiques, leurs conseillers ou les agents de la bureaucratie européenne. Mais la façon dont ce travail de représentation se fait en lien permanent avec l’évolution de la structure économique des entreprises, de leur périmètre d’activités industrielles ou même du type de produits qu’elles cherchent à introduire sur les marchés intra et extra européens a été jusqu’ici paradoxalement peu traitée.Au croisement de la sociologie économique et de la sociologie politique de l’Union Européenne (UE), cette thèse défend l’hypothèse que la formalisation des relations entre les institutions européennes et les entreprises sous la forme de ce qu’on appelle aujourd’hui le « lobbying » ne s’est opérée qu’au fil d’une évolution qui relève aussi de l’histoire des milieux d’affaires et des modes de gouvernement des firmes depuis le milieu du XXe siècle. Certaines sociétés sous pavillon européen mais déjà mondialisées n’étaient en effet pas spontanément ajustées aux attentes des nouvelles institutions communautaires, ne serait-ce que sur le plan des débouchés de leurs produits ou de leur organisation interne. Pour ces entreprises, le passage d’une diplomatie économique assurée par les hauts dirigeants de l’entreprise à un lobbying professionnalisé, tel qu’il apparaît à la fin des années 1990, n’a pas été seulement une réponse aux demandes de la Commission européenne mais a été aussi conditionné par des logiques proprement économiques.S’appuyant sur l’analyse des archives d’un groupe agroindustriel majeur, sur une ethnographie au sein de son bureau européen et sur 50 entretiens avec des représentants d’intérêt ou des agents des institutions de l’UE, cette thèse apporte une contribution à la sociologie économique et historique de la représentation des firmes dans les arènes communautaires. Dans cette optique, le lobbying n’est pas qu’un exercice de communication politique : il constitue un prolongement sous conditions de l’activité de production industrielle. Comme le montre notamment l’histoire de la constitution d’un bureau européen au sein de ce groupe agroindustriel, il n’y a pas d’un côté une entreprise qui produit des marchandises et de l’autre des lobbyistes qui influencent des décideurs politiques pour le compte de celle-ci. Dans cette entreprise comme dans bien d’autres, les premiers lobbyistes étaient d’ailleurs bien souvent issus des rangs de l’encadrement : il s’agissait de cadres qui se voyaient « nommés » à Bruxelles par leur hiérarchie alors qu’ils étaient précédemment en charge des unités de production ou de vente. Cet enracinement proprement économique de la pratique du lobbying subsiste encore aujourd’hui. Comme le montre l’ethnographie, faire du lobbying suppose un travail permanent de requalification des propriétés des marchandises produites, et ce même si aujourd’hui beaucoup de professionnels de la représentation sont issus de formations en affaires publiques. À distance des propriétés commerciales les plus classiques des produits (parts de marché, prix de vente) mais en hypertrophiant leurs propriétés symboliques potentielles (des « produits sains », « respectueux de l’environnement »), les professionnels de la représentation d’intérêt façonnent la valeur symbolique des marchandises tout en les rendant compatibles avec les catégories mobilisées par les régulateurs. Ils contribuent ainsi à l’actualisation permanente de la valeur politique des marchandises et facilitent l’introduction et le maintien de celles-ci sur les marchés.