Criminelles ou rebelles, déviantes ou démentes : femmes victoriennes et édouardiennes dans l’univers carcéral londonien (1877-1914)
Auteur / Autrice : | Alice Bonzom |
Direction : | Neil Davie |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Civilisation britannique |
Date : | Soutenance le 04/12/2019 |
Etablissement(s) : | Lyon |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Lettres, langues, linguistique, arts (Lyon ; 2007-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Equipe de recherche : Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (Lyon ; 2003-....) |
établissement opérateur d'inscription : Université Lumière (Lyon ; 1969-....) | |
Jury : | Président / Présidente : Gilles Teulié |
Examinateurs / Examinatrices : Michel Prum | |
Rapporteur / Rapporteuse : Emma Bell, Fabienne Moine |
Résumé
Ce travail de thèse porte sur le parcours des femmes victoriennes et édouardiennes dans l’univers carcéral et semi-carcéral londonien. Il se concentre sur une période charnière de l’histoire pénale allant de la nationalisation des prisons pour peines courtes, en 1877, à la veille de la Première Guerre mondiale, en 1914. Il lie la notion de criminalité à celle de la déviance sous le prisme du genre : condamnations pénales, morales, sociales et médicales allaient parfois de pair pour les femmes, estompant les frontières entre criminalité, rébellion et, parfois, raison et déraison. Pour mieux appréhender la figure labile et protéiforme de la criminelle, cette thèse sillonne avec les détenues les couloirs des tribunaux, des prisons, des établissements spécialisés dans le traitement de l’alcoolisme féminin et des refuges pour anciennes criminelles. Elle s’inscrit dans la perspective des études de genre, et s’efforce donc de ne pas estomper l’expérience carcérale masculine. À l’aide d’archives « d’en haut » mais aussi « d’en bas », ce travail remet en question certaines des théories élaborées par les historiens des prisons en matière de jugement pénal, de traitement carcéral mais aussi d’appréhension médicale. En trois grands mouvements –construire, réformer et soigner – il démontre que les criminelles, à la confluence de discours médicaux et pénaux, deviennent l’épicentre plutôt que les uniques cibles d’une « pathologisation » de la déviance criminelle, mais que cette médicalisation demeure entremêlée de principes moralisateurs classiques. Cette thèse s’ouvre sur les processus de construction identitaire des femmes ayant enfreint la loi. Elle dresse une typologie des crimes et délits commis par les femmes, et soulève l’importance d’un prisme intersectionnel dans l’analyse des jugements pénaux. Sans minimiser le poids des normes pesant sur les femmes, le premier volet de ce travail démontre également l’importance d’une mission civilisatrice dont les hommes étaient la cible. Le deuxième volet de cette exploration fait la part belle à la réalité de l’expérience carcérale, sous un angle à la fois moral et physique, mais aussi sensoriel. Le corps et l’esprit des prisonnières étaient régulés et féminisés, mais également négligés. Le « cours intensif de féminité » dispensé en prison était à la fois normatif et évanescent, la maternité était niée et vaporisée. Les détenues qui se rebellaient se réappropriaient alors souvent paradoxalement leur corps à travers l’adoption de normes genréesqu’elles avaient parfois d’abord transgressées. La dernière partie de ce travail s’intéresse aux nouveaux courants de pensée scientifique du dernier quart du XXe siècle qui précipitèrent les criminels dans l’orbite de la sphère médico-scientifique. La hausse du récidivisme féminin, en particulier en matière de délits liés à l’alcoolisme, se combine à l’essor de la théorie dedégénérescence et de l’eugénisme, mais aussi à l’émancipation croissante des femmes, donnant naissance à de nouvelles « sciences des criminelles » embryonnaires. Certaines déviantes furent placées sous la loupe de médecins, d’aliénistes et de gynécologues travaillant hors des hauts murs de la prison. Elles se virent alors déviées du système traditionnel et envoyées dans des maisons de redressement spéciales. Toutefois, la réalité du quotidien des femmes alcooliques et « faibles d’esprit », mises à l’écart du reste de la population carcérale, révèle la persistance de modèles moralisateurs. Plus qu’un traitement médical, se développe une approche hygiéniste plus ou moins pessimiste selon le comportement des détenues-patientes. Les autorités carcérales britanniques ne voyaient pas d’un bon oeil le positivisme à l’extrême, mais certaines détenues – et certains détenus – étaient vus comme mentalement déficientes. Alors que les politiques pénales annoncées en 2019 dessinent les contours d’un renforcement du fait carcéral, il apparaît vital de faire la lumière sur les prisons...