Thèse soutenue

Quand les rapports sociaux de classes prennent corps : catégorisations et expériences des « cancers du travail » en Lorraine

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Auteur / Autrice : Julie Primerano
Direction : Cherry SchreckerIngrid Voléry
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sociologie
Date : Soutenance le 19/11/2019
Etablissement(s) : Université de Lorraine
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale SLTC - Sociétés, Langages, Temps, Connaissances (Lorraine)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Laboratoire lorrain de sciences sociales (Lorraine)
Jury : Président / Présidente : Thierry Pillon
Examinateurs / Examinatrices : Cherry Schrecker, Ingrid Voléry, Arnaud Mias, Delphine Serre, Isabelle Thaon, Sylvie Fainzang
Rapporteurs / Rapporteuses : Arnaud Mias, Delphine Serre

Résumé

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Le cadre professionnel constitue, aujourd’hui encore, un espace d’engagement des corps parfois délétère, notamment pour les plus précaires. Cette thèse propose d’explorer l’une de ses conséquences, peu visible dans le corps social : le “cancer professionnelˮ. Etudié dans ses versants institutionnel et “profaneˮ , ses différentes logiques de catégorisations sont mobilisées comme des analyseurs des corps, des corporéités et des rapports sociaux de classes. Plusieurs niveaux d’analyse sont ainsi convoqués : celui, diachronique, de son élaboration et de ses ajustements et ceux, synchroniques, des malades soupçonnés, à un moment donné, d’être atteints d’un cancer d’origine professionnelle, de leur entourage (conjoint.e et plus largement réseaux relationnels territoriaux à travers lesquels les malades constituent des savoirs concernant les sites exposant à des substances cancérogènes), des associations et des syndicats, des agents administratifs et enfin des médecins. Le travail méthodologique repose sur des entretiens avec des malades et/ou leurs ayants-droit, des agents administratifs, des médecins, des acteurs associatifs et syndicaux ainsi que des observations de consultations, de séances du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles et de permanences associatives. Cette thèse s’inscrit dans la sociologie des cancers professionnels déjà ouverte par les travaux pionniers d’Annie Thébaud-Mony dès les années 1990 (Thébaud-Mony, 1991, 2003, 2006, etc.), complétés notamment par les travaux menés par les chercheur.se.s associé.e.s au GISCOP93 (Marchand, 2016 et 2018 ; Paiva, 2016, etc.) en même temps qu’elle contribue à la sociologie des « corps ouvriers ». S'agissant du premier champ, elle montre comment la catégorie se reconfigure à mesure de la traversée des espaces médicaux, administratifs, militants et domestiques. Des jeux sur ses bornes se déploient dans ces espaces qui passent notamment par une revendication victimaire ainsi que par une individualisation du risque cancérogène et du vécu de la maladie, menant l’(ex) travailleur à subir une triple injonction à être à la fois un bon ouvrier, un bon malade et une bonne victime. S'agissant du second champ, elle montre comment le travail passe les frontières de la peau des ouvriers selon des modalités particulières. Les ouvriers enquêtés semblent résister à l'engagement de l'entièreté de leur corps au travail mais l'expérience de la maladie ne s'inscrit pas dans une grammaire de classes nette. Ainsi, si le collectif ouvrier peut parfois faire ressource, il peine à faire sens dans une expérience qui s'individualise à mesure que la relation salariale se transforme et que la rhétorique de classes perd de son audience. Pour autant, c’est parfois la catégorie, souvent saisie par le biais des médecins et des corps, qui va (r)éveiller l’identification à une condition précaire, suggérant une imbrication complexe des rapports sociaux de domination autour de cet objet.