Voix de la foule chez Tacite : perspectives littéraires et historiques sur la communication collective au début de l'Empire
Auteur / Autrice : | Louis Autin |
Direction : | Isabelle Cogitore, Christiane Kunst |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Lettres et arts spécialité Langues et civilisations de l’antiquité |
Date : | Soutenance le 23/11/2019 |
Etablissement(s) : | Université Grenoble Alpes (ComUE) en cotutelle avec Universität Osnabrück |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale langues, littératures et sciences humaines (Grenoble, Isère, France ; 1991-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Laboratoire Arts et pratiques du texte, de l’image, de l’écran et de la scène (Grenoble) |
Jury : | Président / Présidente : Olivier Devillers |
Examinateurs / Examinatrices : François Bérard | |
Rapporteurs / Rapporteuses : Rhiannon Ash, Cristina Rosillo López |
Résumé
Ce travail analyse sous différentes perspectives les formes de la voix collective chez Tacite. Souvent réduites par l’historien à un simple son dérangeant, les voix de foule engagent des problématiques diverses (sociopolitiques, historiographiques, littéraires) qui ne sont pas indépendantes les unes des autres mais forment un système de représentation. Méthodologiquement, nous ne dissocions donc pas l’approche littéraire et l’approche l’historique et cherchons à montrer comment des faits sociaux comme la communication des masses sont encodés dans le récit.La première des trois parties trouve son unité dans l’analyse lexicographique du vocabulaire politique de Tacite, en commençant par le concept de foule (chap. 1). On y voit surtout que uulgus (uulgus urbanum ou uulgus militum) renvoie à un type de foule particulier, celle qui, par sa voix, devient l’un des acteurs principaux du régime impérial. Deux études de cas (les foules dans les mutineries du livre I des Annales ; la foule dans l’épisode de la répudiation d’Octavie) ancrent l’analyse dans l’étude suivie du texte tacitéen. Le chap. 2 étudie la clameur, définie comme communication verticale entre la foule et l’individu. Après avoir relevé les caractéristiques formulaires de l’écriture tacitéenne, nous montrons que le cri collectif a constitué pour l’historien un puissant outil de caractérisation des foules et a servi à l’élaboration de l’historia ornata, via des déplorations pathétiques et des hypotyposes.La deuxième partie étudie au plan historique le phénomène de la rumeur, dont l’œuvre de Tacite constitue un réceptacle exceptionnel. Dans le chap. 3, nous définissons la rumeur comme média : au-delà des stéréotypes, le phénomène peut être caractérisé par son mode particulier (réticulaire et exponentiel) de transmission de l’information, qui l’oppose aux médias traditionnels et aristocratiques. Le chap. 4 adopte une approche interactionniste : il s’agit de déterminer où, quand, comment et par qui s’échangeaient les rumeurs, en nous focalisant sur les réseaux de sociabilité (urbains tout autant que militaires) qui leur permettaient de circuler. Le chap. 5 replace la rumeur dans le « paysage médiatique », à Rome et dans les castra, et interroge la relation entre les bruits publics et les autres canaux de communication, notamment les médias de l’officialité. Si la situation la plus récurrente est celle d’une rivalité entre la foule et les autorités autour de l’acquisition de l’information, une autre configuration se trouve de manière régulière dans les sources : la rumeur permettait d’assurer la dissémination d’une information officielle auprès du grand nombre, au-delà des lieux d’interaction ritualisés entre la masse et le pouvoir. Dans ces trois chapitres, l’assise documentaire est élargie aux textes et auteurs de la fin de la République et du Haut-Empire.Nous retournons ensuite au seul Tacite (troisième partie) pour synthétiser les différentes fonctions littéraires qu’assume la rumeur chez lui, en interrogeant leur rapport avec les propriétés historiques du phénomène. Le chap. 6 propose une analyse des fonctions narratologiques de la rumeur, certaines connues (la rumeur comme insinuation ou comme support du portrait), d’autres plus neuves (la rumeur comme embrayeur de transition). Dans le chap. 7, nous élargissons le cadre en observant le lien de la rumeur à la causalité historique : certains bruits, de forme chorale, semblent détachés des événements et permettent de faire résonner une contre-histoire au sein du récit tacitéen (histoire des émotions, voire histoire contrefactuelle). La fin de ce dernier chapitre se penche sur la problématique de l’utilisation des rumeurs comme sources par Tacite.Après une conclusion ouvrant sur des perspectives sociocritiques dans l’analyse du discours collectif tacitéen, on trouve deux annexes : un état de la question de la rumeur dans les sciences de l’Antiquité, et une étude lexico-syntaxique des rumeurs tacitéennes.