« Creative Europe » ou l’action publique par projets : enquête sur une modernisation des politiques publiques en Europe
Auteur / Autrice : | Mehdi Arfaoui |
Direction : | Ève Chiapello |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Sociologie |
Date : | Soutenance le 26/11/2019 |
Etablissement(s) : | Paris, EHESS |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales |
Jury : | Président / Présidente : Philippe Bezes |
Examinateurs / Examinatrices : Philippe Bezes, Laure de Verdalle, Hélène Michel, Laurent Jeanpierre, Claude Rosental | |
Rapporteur / Rapporteuse : Laure de Verdalle, Hélène Michel |
Mots clés
Mots clés contrôlés
Résumé
Cette thèse prend pour objet la mise en œuvre d’un programme européen de financement de projets culturels intitulé Europe Créative, adopté en 2013 par l’Union européenne (UE). La recherche donne à voir les conditions de la réforme des politiques européennes pour la culture et montre comment celle-ci s’inscrit dans un processus au long cours de métamorphose de l’action publique en Europe. La littérature académique portant sur les réformes récentes de la politique culturelle de l’UE décrit souvent un « tournant néolibéral » associé à un « tournant créatif ». La redéfinition des politiques culturelles européennes au nom de la « créativité » s’accompagne en effet d’une généralisation du financement par projets et de l’introduction d’un lexique entrepreneurial et d’outils propres au nouveau management public pour encadrer le subventionnement de la culture. Ces travaux se limitent néanmoins généralement à traiter le changement de politique sous l’angle conceptuel, discursif ou strictement formel des transformations engendrées. Notre enquête cherche a contrario à questionner l’hypothèse d’un « tournant » en explorant les traductions pratiques de ces transformations. Ce faisant, l’étude de la réforme de la politique européenne permet d’aborder les processus concrets à l’œuvre dans ce que l’on a coutume de présenter comme une « néolibéralisation » des politiques publiques.Nous mettons en lien trois niveaux d’observation : celui des cadres cognitifs qui justifient une politique publique et sa réforme, celui de l’élaboration des instruments politiques qui lui donne corps et celui de la mise en œuvre concrète de ces instruments. Notre cadre théorique mêle la sociologie de la justification, la sociologie politique des instruments de l’action publique et des outils de gestion ainsi que la sociologie de la traduction. Notre matériau se fonde sur une analyse de la littérature académique traitant du « tournant créatif » et de la littérature grise produite par les institutions européennes, ainsi que sur une série d’entretiens et d’observations ethnographiques – dont plusieurs semaines au sein des points de contact du programme Europe Créative, et de nombreux mois au sein d’un lobby pour la culture à Bruxelles.Cette thèse contribue à montrer que l’entreprise réformatrice induit une appropriation plurielle et contradictoire des politiques par les acteurs concernés. Nous préférons alors, au terme homogénéisant de « néolibéralisation », celui de « modernisation » pour souligner les conflits et les compromis émergeant de ces appropriations dissonantes. À chacun des trois niveaux d’observation, nous révélons les efforts réalisés par les acteurs pour interpréter, modeler et renégocier localement le sens des réformes. Nous donnons à voir les disputes relatives à ce que serait une « bonne » politique culturelle et le travail d’interprétation du programme réalisé au guichet des institutions européennes, ou encore la malléabilité du sens donné à la notion de « projet ». Nous mettons en exergue la façon dont le financement par projets transforme non seulement les modalités de travail des organisations culturelles financées, mais également leur capacité à élaborer une prise de position critique vis-à-vis de la politique menée par l’UE.