Thèse soutenue

Le bien à l’épreuve du mal. À partir du tympan de Beaulieu-sur-Dordogne : adversité apocalyptique et image analogiste.

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Auteur / Autrice : Élise Haddad
Direction : Marie Anne Polo de Beaulieu
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Histoire et civilisations
Date : Soutenance le 19/06/2019
Etablissement(s) : Paris, EHESS
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales
Jury : Président / Présidente : Didier Méhu
Examinateurs / Examinatrices : Didier Méhu, Jérôme Baschet, Jean-Claude Bonne, Maria Cristina Correia Leandro Pereira, Cécile Voyer

Résumé

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1. Iconographie à Beaulieu-sur-Dordogne.Le portail de Beaulieu-sur-Dordogne est une œuvre majeure du xiie siècle. Pourtant, jusqu’à présent, les registres inférieurs du tympan étaient décrits de manière insatisfaisante comme une masse de créatures. La première partie de cette thèse est une lecture iconographique du tympan puis de l’ensemble de l’édifice par méthode comparative sérielle.L'Apocalypse est la référence principale du tympan. Les trois créatures du linteau représentent la Bête de la Terre, la Bête de la Mer et le Dragon, tirées de l'Apocalypse 13. Leur manifestation comme anti-trinité est une incarnation du mal. Mais les quatre créatures au niveau intermédiaire sont des locustes, c'est-à-dire un fléau envoyé par Dieu. S’y ajoutent plusieurs micro-motifs, tels que les roses végétales ou les têtes crachant des rubans. Mes interprétations iconographiques fondent une compréhension renouvelée de la composition. Le tympan de Beaulieu offre une perspective sur les événements apocalyptiques centrée sur la notion d’épreuve : les épreuves eschatologiques et les épreuves de la vie, les efforts et tentations y compris celles du Christ, construisent un réseau de motifs analogiques à travers le portail. J’ai nommé ce thème : « adversité apocalyptique ».2. Adversité apocalyptique.À partir du ve siècle, il est admis que l'Apocalypse symbolise le présent. Or le tympan de Beaulieu associe seconde Parousie et bêtes apocalyptiques. C’est que certains passages dans les commentaires apocalyptiques montrent que les théologiens jusqu’au xiie siècle interprètent le texte à la fois comme une clef métaphorique au présent et comme une annonce au futur. Une fois identifiés et déchiffrés, ces motifs d'épreuves apocalyptiques sont repérables en contexte eschatologique dans de nombreux monuments romans et du premier gothique. Certains étaient encore non identifiés, comme la locuste de Schloss Tirol. Quelques compositions monumentales incluant des épreuves apocalyptiques ont été décrites par leurs contemporains mais plus tard détruites, comme à Saint-Benoît-sur-Loire.Au milieu du xiiie siècle, des images apocalyptiques sont réutilisées par des penseurs hétérodoxes, puis par des mouvements subversifs comme celui des Flagellants à partir de 1256, suivis d'un certain nombre de mouvements millénaristes. Dès ce moment, une partie de l’iconographie apocalyptique devient suspecte et disparaît des représentations monumentales pour quelques siècles.3. Analyse anthropologique.La série des images apocalyptiques documente le passage d'une ontologie analogiste à l’ontologie naturaliste contemporaine. Suivant la théorie de l'anthropologue Philippe Descola, la première, issue d'un cadre de discontinuités tant dans les matériaux physiques qu’entre les êtres spirituels, se caractérise par un usage constant de l'analogie afin de réconcilier les réalités fragmentées du cosmos. L'ontologie naturaliste, quant à elle, oppose réalité matérielle continue régie par des lois scientifiques naturelles, et discontinuité dans les mondes culturels et psychologiques des êtres humains et non-humains. Les traits de la figuration analogiste sont pertinents pour comprendre des images romanes dont la valeur est plutôt cosmologique qu’exégétique. Il en va ainsi des séries de figures animales situées autour du portail de Moissac, ou en façade de Notre-Dame La Grande, à Poitiers. Notre corpus peut aussi éclairer la mutation ontologique. Les critères en sont multiples : la structure des images, leur référence thématique, l’usage de motifs comme l’hybridation, la place donnée aux créatures non-humaines, etc. Dès le xiiiᵉ siècle, les formes les plus complexes de la figuration analogiste reculent et un certain nombre d’éléments disparaissent, tels que la prolixité dans l’hybridation. Ces jalons très précoces permettent de mieux saisir la complexité de la trajectoire qui aboutit au naturalisme, à partir du xvᵉ siècle dans les images et de manière systématique dans les textes au xviiᵉ siècle.