Thèse soutenue

« Survivre » 25 ans après la chute de l'URSS : classes populaires et marchés dans les espaces ruraux ukrainiens
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Auteur / Autrice : Pierre Deffontaines
Direction : Gilles Laferté
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sociologie, démographie
Date : Soutenance le 04/10/2018
Etablissement(s) : Bourgogne Franche-Comté
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Droit, Gestion, Economie et Politique (Dijon ; Besançon ; 2017-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Institut national de la recherche agronomique (France). Centre d'économie et sociologie appliquées à l'agriculture et aux espaces ruraux (Dijon)
établissement de préparation : Université de Bourgogne (1970-....)
Jury : Président / Présidente : Susana Narotzky
Examinateurs / Examinatrices : Gilles Laferté, Cécile Lefèvre, Marie Cartier, Ronan Hervouet, Hervé Marchal
Rapporteurs / Rapporteuses : Cécile Lefèvre, Marie Cartier

Résumé

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« Survivre » (viživati) est un mot du terrain. Il souligne plusieurs aspects de la vie quotidienne : - les efforts constants à déployer pour trouver de quoi se nourrir, s’habiller et payer un logement, des soins ou des études ; - la dégradation perçue du niveau de vie ; - une aspiration à mieux, à une économie « développée » et stable ; - un certain ressentiment contre l’Etat, « ceux qui dirigent et décident » (pri vladi), ou les employeurs, ceux qui ne payent plus le travail à sa juste valeur (robota ne cinuêt’câ). Ces sentiments sont encore accrus sur le terrain ukrainien par les conséquences économiques de la guerre à l’Est du pays depuis 2014. De fait, l’inflation est repartie à la hausse, dépassant les 60 % en avril 2015, après la période de relative stabilité des années 2000 et un retour à la normale depuis les effets de la crise financière internationale en 2008-2009.A partir d’un terrain dans un canton du centre de l’Ukraine, la thèse remet en perspective cette impression de « survie ». Par-delà le sentiment partagé d’une débrouille généralisée, apparaissent des régularités sociales, dont l’enquête s’évertue à restituer les logiques sociales, c’est-à-dire à saisir les formes de « l’informel ».La thèse s’appuie sur les concepts et méthodes de la sociologie du travail et de l’anthropologie économique, croisant une littérature spécifique aux espaces postsocialistes, surtout en langue anglaise, et les acquis des travaux récents de la sociologie des classes populaires en France. L’ethnographie y a joué un rôle central. Elle s’est appliquée à la fois à l’observation des espaces domestiques et des scènes de travail, mais également au travail des administrations locales et à leurs usages des catégories statistiques et règlementaires. Elle est complétée par un usage extensif d’archives, d’entretiens menés avec des responsables régionaux et nationaux du monde agricole et d’une base statistique (Ukrainian Longitudinal Monitoring Survey) regroupant les données sur plus de 7000 trajectoires dans 3000 ménages. Les chapitres successifs explorent diverses scènes sociales : « l’espace domestique », les champs des entreprises agricoles locales, les chantiers de construction et les marchés des produits agricoles.Ainsi, la recherche fait ressortir divers processus sociaux de régulation des activités économiques, en-deçà et au-delà de tout encadrement légal. Elle met notamment en avant deux aspects saillant de cette régulation. D’une part, l’organisation du travail agricole dans les entreprises locales témoigne de la reproduction de rapports hiérarchiques datant de la période soviétique, malgré les transformations du régime de propriété et des relations d’emploi suite à la privatisation des terres agricoles. Les multiples conflits locaux et les formes de domination, qui se retrouvent dans d’autres études de cas sur les espaces post-socialistes, justifient une approche en termes de classes sociales. D’autre part, l’observation de diverses scènes sociales et de leur superposition a permis de montrer le rôle de l’interconnaissance et des effets de réputations sur les classements et les positions occupées par les personnes rencontrées sur les marchés de l’emploi ou les marchés des produits agricoles. Les sociabilités locales, marquées par la division sexuelle du travail mais aussi par des inégalités économiques, jouent un rôle déterminant dans la différenciation sociale et dans les opportunités d’accès aux multiples marchés.Le terrain ukrainien, de par les bouleversements qu’il connaît depuis 25 ans, offre un point de comparaison à une réflexion sur les modes d’institution des pratiques économiques qui ne prennent pas pour acquis les cadres légaux ou statistiques et, par eux, les échelles régionales et nationales des études des phénomènes économiques. En s’appuyant sur l’ethnographie, la thèse tente ainsi d’apporter sa contribution à une sociologie globale des classes sociales, attentive à l’espace et à l’histoire des rapports sociaux.