Thèse soutenue

Raconter le vivant : un essai de zoépoétique narrative (XXe-XXIe siècles)

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Auteur / Autrice : Marie Cazaban-Mazerolles
Direction : Christine Baron
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Littérature générale et comparée
Date : Soutenance le 25/05/2018
Etablissement(s) : Poitiers
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Lettres, pensée, arts et histoire (Poitiers ; 2009-2018)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Laboratoire Formes et représentations en littérature et linguistique (Poitiers)
faculte : Université de Poitiers. Faculté des Lettres et des Sciences Humaines (1896-1970)
Jury : Président / Présidente : Denis Mellier
Examinateurs / Examinatrices : Christine Baron, Stéphanie Posthumus
Rapporteurs / Rapporteuses : Anne Simon, Laurence Dahan-Gaida

Résumé

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Cette thèse de littérature générale et comparée met au jour la présence, dans la littérature occidentale des XXe et XXIe siècles, d'un geste narratif qui consiste à raconter non plus « la vie » mais « le vivant » - défini comme une formule assumant un point de vue bio écologique sur l'existence et récapitulant les axiomes anthropologiques, ontologiques et métaphysiques impliqués par la révolution darwinienne. Dépassant le schème des « deux cultures » selon lequel les champs scientifique et littéraire sont supposés hétérogènes, l'essai examine ainsi comment le récit de fiction intègre et réagit de façon créative aux bouleversements provoqués par le développement des sciences du vivant modernes : modification de l'appréhension du phénomène de la vie, et altération de la conscience que l'humain a de lui-même ainsi que de sa place dans le monde. Le phénomène étudié est baptisé zoégraphique en référence à l'opposition existant en Grec ancien entre le bios - la vie humaine individuelle et caractérisée - et la zoé - entendue comme la vie trans-individuelle et trans-spéciste commune à toutes les créatures animées.L'analyse d'un vaste corpus de récits publiés depuis le début du XXe siècle en Amérique du Nord, en Angleterre, en France, au Brésil et en Afrique du Sud, permet dès la première partie de mettre en valeur la façon dont le paradigme bio-écologique post-darwinien met à l'épreuve les habitus anthropocentriques de la poétique narrative occidentale moderne. L'étude se focalise en premier lieu sur le renouvellement de la poétique du personnage, montrant d'une part comment les textes mettent en avant les dimensions biologiques et animales de l'identité humaine, et comment ils multiplient d'autre part les personnages non-humains en s'efforçant de rompre avec leurs anciennes modalités anthropocentriques de représentation. Ce faisant, la thèse défend l'idée que les auteurs considérés travaillent à défaire ce qui apparaît comme l'indexation traditionnelle de la poétique du personnage sur le mythe de l'exception humaine, au profit de la figuration du continuum du vivant. En outre, elle montre que les récits étudiés développent contre les imaginaires de la séparation et de la domination des intrigues qui mettent en scène Homo sapiens dans un rapport d'interdépendance écosystémique et d'appartenance au collectif du vivant. Les textes examinés achèvent ainsi d'émanciper leur poétique des représentations véhiculées par l'humanisme classique, et mobilisent des ressources propres à la narration littéraire pour faire advenir à la littérature un « vivant » caractérisé par son refus non seulement de l'opposition humains/non-humains, mais encore d'une conception autarcique et substantialiste de la subjectivité.Examinant dans un second temps les valeurs dont les écrivains chargent l'imaginaire du vivant qu'ils élaborent, cette recherche montre que le corpus étudié déploie une compréhension heureuse de ce qu'être un vivant parmi les vivants signifie, luttant contre la propension à requalifier les implications de l'épistémè post-darwinienne en termes de réduction ou d'humiliation métaphysiques. Semblable travail de médiatisation euphorique s'avère particulièrement manifeste dans la façon dont les textes réinvestissent l'imaginaire angoissé caractéristique de la première réception darwinienne pour en convertir la tonalité affective. Afin de compenser les perspectives de la finitude et de la dégradation ontologique, le corpus procède en outre à la reformulation immanente et écologique de l'imaginaire des au-delàs et de la grandeur. Étudiant pour finir comment les textes mettent globalement en scène la possibilité d'un enchantement non pas exclu par une vision scientifique du monde mais compatible voire subordonné à ses démonstrations, l'étude considère la fiction narrative comme un dispositif efficace de réorientation de l'attention et des affects, susceptible de faire valoir la valeur enchanteresse des postulats du paradigme bio-écologique moderne.