Figures de Massinissa : constructions et réceptions de l'image du roi numide dans les sources anciennes et l'historiographie coloniale
Auteur / Autrice : | Mathilde Cazeaux |
Direction : | Jean Meyers, Jacques Alexandropoulos |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Études grecques et latines |
Date : | Soutenance le 24/11/2018 |
Etablissement(s) : | Montpellier 3 |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Langues, Littératures, Cultures, Civilisations (Montpellier ; 1991-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Centre de recherche interdisciplinaires en sciences humaines et sociales (Montpellier) |
Jury : | Président / Présidente : Michèle Coltelloni-Trannoy |
Examinateurs / Examinatrices : Jean Meyers, Mansour Ghaki, Christine Hamdoune | |
Rapporteurs / Rapporteuses : Cécile Bertrand-Dagenbach |
Mots clés
Résumé
Massinissa est un personnage historique qui régna sur la Numidie entre 201 et 148 avant notre ère. Allié de Rome durant la deuxième guerre punique, il contribua à l’écrasement de Carthage. Ce roi ressort comme le premier « grand homme » de l’histoire de l’Afrique du Nord, dans l’historiographie ancienne que nous avons conservée (nous ne savons rien de l’historiographie punique ni libyque), mais aussi dans l’historiographie contemporaine des pays du Maghreb. Selon les auteurs grecs et romains, il aurait été doté de qualités exceptionnelles, et c’est à lui que reviendrait la gloire d’avoir le premier constitué un État numide unifié. Il est le sujet de nombreux exempla, de l’époque classique jusqu’au Moyen-Âge. À la fin de la période médiévale, on observe, en Europe, un transfert générique : Massinissa, délaissé par les genres savants, devient une source d’inspiration pour les poètes. Pendant la même période, le roi numide disparaît de la tradition savante nord-africaine, et sans doute également de la tradition populaire orale, jusqu’à la colonisation de l’Afrique du Nord par les Français.Mon étude s’inscrit dans le temps long, puisqu’elle retrace le parcours de Massinissa dans l’Antiquité et au fil de sa redécouverte par les historiens de la France coloniale et de sa récupération par les historiens des mouvements nationalistes algériens. Avec la conquête de l’Algérie à partir de 1830, le discours colonial instaure la figure de Massinissa en tant que figure de référence de la région. Les institutions cherchant dans l’histoire de la mainmise progressive de Rome sur l’Afrique du Nord un précédent, c’est-à-dire à la fois une légitimation et une expérience utile pour guider leur action, Massinissa suscite bien entendu un fort intérêt, puisqu’il est présenté par les auteurs classiques, dont les historiens de l’époque sont pétris, comme l’allié très fidèle, voire le client de Rome. Cependant, il serait caricatural de penser que tous les historiens de la période coloniale se sont conformés sans nuance à cette idéologie, et l’étude précise de différents ouvrages montrent au contraire comment cette historiographie coloniale a pu ouvrir la voie à une récupération nationaliste du personnage, en posant un regard critique sur les sources anciennes.Les mouvements nationalistes se sont emparés à leur tour du personnage. Massinissa, premier habitant de l’Algérie dont le nom ait retenti au-delà des mers et par-delà les siècles, était un candidat évident au « panthéon » de héros nationaux que les intellectuels algériens se sont efforcés de mettre en place pour créer un sentiment d’appartenance nationale dans les premières décennies du XXe siècle. Et cela, d’autant plus que les rois numides furent les derniers souverains autochtones avant des siècles de domination étrangère. Il fallait alors affronter certains paradoxes : se réapproprier, ou plutôt s’approprier une histoire modelée par les colonisateurs d’hier et ceux d’aujourd’hui, valoriser un héros encensé par l’ennemi, et enfin ménager une place à un Berbère polythéiste, à rebours de l’arabo-islamisme des discours identitaires majoritaires.Ce travail replace chacune des représentations de Massinissa dans son contexte historique et idéologique ainsi que dans les codes propres à sa nature ou à son genre littéraire, de façon à repérer les filtres qui ont infléchi son élaboration et à mieux comprendre l’orientation qui en résulte. Sources littéraires, archéologiques, épigraphiques et numismatiques seront également analysées en tant que pratiques discursives, et l’on s’attachera à retracer la généalogie de ces représentations.